LE SHÉRIF ÉTAIT UNE AUTRUCHE
En quelques pages, «Une super histoire de cow-boy» charme, divertit, raille et interroge sur le pouvoir des images et des mots
Dans un petit livre modeste, tout de noir et blanc pour le dessin, et de blanc et brun (tirant sur le vert, un vrai brun western!) pour les fonds de page, Delphine Perret, auteure-illustratrice de grand talent, nous tricote et détricote une histoire dans le même mouvement, booste l’imaginaire et la fantaisie du lecteur tout en moquant la bienséance, l’autocensure, les diktats et autres clichés sur la littérature de jeunesse.
«C’est l’histoire d’un cow-boy», nous dit-on en première page. Et, illustrant ce propos, la dessinatrice a croqué un singe qui mange une banane. Elle s’en explique d’ailleurs, c’est «parce qu’on m’a dit qu’un cow-boy ça faisait trop peur avec ses dents cariées et son air mauvais», et la banane, c’est «parce qu’un pistolet c’est trop dangereux».
Page suivante, à gauche: «Ce cow-boy est impitoyable. Il mange des bébés lapins au petit-déjeuner.» A droite: «J’ai plutôt choisi de montrer qu’il faut bien se laver les dents le matin.» C’est en effet ce que l’image propose.
LE FOIN, TROP ALLERGÈNE
Et ainsi de suite. Pages de gauche et uniquement en mots, le cow-boy vit sa vie de hors-la-loi sale et violent; pages de droite, un mignon singe joue à l’enfant parfait, tandis que le texte justifie, en petits caractères et avec une naïveté aussi feinte que confondante, les choix de la dessinatrice: le shérif sera remplacé par une autruche, pour respecter la parité, les champs de foin par du carrelage de cuisine, nettement moins allergène, le sang par du sirop de menthe!
Cet ouvrage est promis à un bel avenir, car il cumule les qualités. Le dessin, minimaliste, est merveilleusement expressif, charmant, cocasse; mais le plus intéressant peut-être se passe dans le texte, et dans le rapport texte-image. Car au fond, mine de rien, l’auteure nous raconte bel et bien son histoire de cow-boy, les phrases s’enchaînent et la composent. Faut-il comprendre que les mots seuls et l’imaginaire qu’ils mettent en branle sont de peu de poids? Qu’il serait anodin de dire, mais non de montrer la violence? Le statut des mots et celui des images seraient donc différents?
On est là dans le vif du sujet: le pouvoir évocateur des mots, l’impact des illustrations, et cette relation entre eux si importante en littérature jeunesse. Autant de motifs que Delphine Perret explore (et malmène) ici, avec une acuité et un humour qui raviront les lecteurs de tous âges!