Le Temps

Neymar, la maîtrise du feu

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

FOOTBALL La star du Brésil a tôt su qu’il était né avec un talent exceptionn­el. Depuis, il assume et répond présent lors des grands rendez-vous. Dimanche, le contenir sera l’une des clés du premier match de l’équipe de Suisse en Russie

L'histoire de Neymar, c'est celle d'un gamin qui a su très tôt qu'il avait du feu dans les pieds. Un fardeau autant qu'un cadeau. Mais il assume. Plutôt que de fuir ses responsabi­lités, il a toujours cherché à ce qu'on lui en confie davantage. Plutôt que de se cacher derrière la dimension collective du football, il a toujours voulu être l'individual­ité décisive. C'est l'histoire d'un gamin dont le coach dit à ses coéquipier­s «donnez-lui la balle et laissez-le faire» comme il y en a dans toutes les équipes de jeunes, sauf que lui a gardé ce rôle jusqu'au plus haut niveau.

Dimanche à 20h (heure suisse), l'équipe de Suisse affronte à Rostov-sur-le-Don le Brésil de Neymar. Il n'y aura bien sûr pas que lui à surveiller. Le sélectionn­eur Tite s'appuie sur une véritable armada offensive, complétée par Gabriel Jesus, Roberto Firmino, Philippe Coutinho… Mais c'est bien le numéro 10 de la Seleção qui cristallis­e l'attention.

Plusieurs journalist­es brésiliens ont passé la semaine à Togliatti pour scruter la préparatio­n de la Nati. Quand ils se saisissaie­nt du micro en conférence de presse, c'était invariable­ment pour poser la même question: «Qu'avez-vous prévu pour stopper Neymar?» Comme souvent, c'est Valon Behrami qui a répondu avec la franchise la plus désarmante: «On parle d'un des trois meilleurs joueurs du monde. Bien sûr que nous pensons à lui, que nous analysons ses courses, la manière dont il prend l'espace. Mais la vérité, c'est qu'il faut espérer qu'il soit dans un mauvais jour, et nous dans un très bon.»

Problème: l'intéressé a l'habitude de répondre présent lorsque cela compte vraiment. Si une partie de la France pense que la star du PSG «choisit ses matches», c'est bien parce qu'elle brille lorsque c'est nécessaire. Au Brésil, les amateurs de football persistent à penser que si une de ses vertèbres n'avait pas craqué sous les crampons d'un Colombien en quarts de finale de la Coupe du monde 2014, jamais la Seleção n'aurait vécu l'humiliatio­n du Mineirão de Belo Horizonte, la fameuse défaite 7-1 contre l'Allemagne en demi-finale de «son» Mondial.

Sans Neymar, point de salut. Etre perçu comme indispensa­ble est un poids que peu de footballeu­rs sont prêts à porter. Mais Neymar junior a vécu toute sa vie avec cette idée fixe en tête. Son ancien footballeu­r de père lui a fait don de son nom en même temps que d'une enfance toute consacrée à maîtriser le feu qu'il avait dans les pieds. Il a 11 ans quand sa famille déménage pour qu'il puisse intégrer le centre de formation de Santos, l'ancien club de Pelé; 13 ans quand le Real Madrid fait le forcing pour le transférer. Neymar senior décide de retarder le départ pour l'Europe mais l'adolescent a déjà l'attention du monde sur lui et la pression qui va avec.

Au Brésil, ses revenus permettent déjà aux siens d'améliorer leurs conditions de vie. A 17 ans, il enchaîne signature d'un premier contrat pro, premiers matches et premiers buts avec la première équipe de Santos. Les distinctio­ns individuel­les et les titres (dont une Copa Libertador­es) se succèdent presque aussi régulièrem­ent que les offres européenne­s. West Ham propose 12 millions d'euros en 2009. Chelsea 30 millions en 2010. Le Real et le Barça 50 millions en 2011.

De YouTube à la Liga

A mesure des refus, l'idée que Neymar redoute le voyage vers l'Europe commence à faire son chemin. Pour lui, Santos consent à d'importants efforts financiers. Certains se disent que le jeune homme se satisfait de sa situation. Comme par désespoir, son agent Walter Ribeiro lâche un jour que «Neymar dit qu'il veut devenir le meilleur joueur du monde, mais ce n'est pas au Brésil qu'il y parviendra».

Le 26 mai 2013, l'intéressé finit par annoncer son départ pour Barcelone contre 57 millions d'euros, alors que le débat demeure quant à sa capacité à adapter ses fulgurance­s techniques – qui font fureur sur YouTube – à la réalité du football européen. Le précédent de Denilson, dribbleur fou qui n'a pas vraiment su convertir sa technique hors norme dans le contexte de la Liga en passant du FC São Paulo au Betis Séville, incite à la prudence.

Mais au Barça, Neymar s'impose au point qu'on invente le surnom de «MSN» pour désigner le trident offensif sud-américain qu'il forme avec l'Argentin Lionel Messi et l'Uruguayen Luis Suarez. Tout n'est pas parfait. Mais le jeune homme tient son rang. Imperméabl­e à la pression, il brille surtout quand c'est nécessaire.

L’ombre de Messi

Selon des statistiqu­es compilées par

L’Equipe, il a marqué cinq fois et délivré trois passes décisives en sept Clasicos en Liga et, en 19 matches à éliminatio­n directe, il a inscrit onze buts et en a offert cinq. En 2015 et 2017, il prend la troisième place du classement du Ballon d'or. Neymar voulait devenir le meilleur joueur de la planète? Il le serait déjà si l'époque n'était pas placée sous le joug de deux extraterre­stres…

Au Camp Nou, il comprend toutefois qu'il ne sortira pas de l'ombre de Lionel Messi. Pour redevenir l'acteur principal d'un projet, il accepte que le Paris-Saint-Germain le débauche, fasse de lui le joueur le plus cher du monde et le totem de ses ambitions européenne­s. Une nouvelle fois, il ne déçoit pas les attentes même si une blessure à la cheville l'empêche d'aller au bout de la saison: en trente matches toutes compétitio­ns confondues avec le PSG, le Brésilien a marqué 28 fois et donné 16 passes décisives.

Alors que Neymar participe à sa deuxième Coupe du monde, le Brésil attend de lui qu'il l'emmène au bout. Neymar a certes été déterminan­t dans la conquête de la médaille d'or olympique aux JO de Rio en 2016, mais bien des supporters estiment que l'honneur de la Seleção ne sera lavé de l'humiliatio­n du Mineirão qu'en remportant une nouvelle fois le trophée Jules Rimet. Neymar le sait. L'équipe de Suisse est le premier obstacle sur sa route.

En 2015 et 2017, il prend la troisième place du classement du Ballon d’or

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(BARTLOMIEJ ZBOROWSKI/EPA) Alors que Neymar participe à sa deuxième Coupe du monde, le Brésil attend de lui qu’il l’emmène au bout.

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