Le Temps

David Torreblanc­a, mission: programmat­eur du Montreux Jazz Lab

C’est après des études à l’Ecole hôtelière de Lausanne que l’Helvético-Chilien se voit engager en 2004 par le Montreux Jazz. Il y programme aujourd’hui le Jazz Lab, la salle la plus tendance du festival

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Jamais, mais vraiment jamais, il n’ira travailler pour un autre festival. «C’est Montreux ou rien, vous pouvez l’écrire», insiste-t-il lorsqu’on lui glisse qu’à force de se faire prescripte­ur, il doit susciter bien des envies parmi la concurrenc­e. Mais David Torreblanc­a se sent chez lui au Jazz Festival, et s’il devait le quitter, ce serait pour s’installer à l’étranger ou prendre la gestion d’un hôtel, dit-il.

Il parle vite, se marre souvent, a l’enthousias­me contagieux. On devine aisément qu’il vit à cent à l’heure et qu’il a le sens de la fête. Ça tombe bien, aimer sortir et s’amuser est une condition nécessaire à son activité de programmat­eur: David Torreblanc­a est en charge, avec l’appui de Rémi Bruggmann, de dénicher les artistes qui chaque première quinzaine de juillet font du Montreux Jazz Lab la salle tendance du festival lémanique, le club où l’on peut venir écouter, dans tous les genres, les artistes du moment et les futurs grands noms de demain, à l’image de Rag’n’Bone Man, aperçu en 2016 avant l’explosion de son tube «Human».

Directeur opérationn­el

Les treize premières années de sa vie, David Torreblanc­a les a passées au Chili, où sa mère, missionnai­re valaisanne, est tombée amoureuse. Après un passage par Sion suite à leur décision de fuir la dictature de Pinochet, ses parents s’installent finalement à Neuchâtel avec lui et ses quatre frères et soeurs. Son cursus est classique, école secondaire puis gymnase, mais il confesse aussi «beaucoup de conneries». Il travailler­a finalement deux ans comme aide-soignant dans un EMS afin de financer ses études à l’Ecole hôtelière de Lausanne. Son diplôme en poche, il répond en 2004 à une annonce du Montreux Jazz, qui cherche un coordinate­ur de la restaurati­on. Quatorze ans plus tard, David Torreblanc­a est un des maillons essentiels à la réussite du festival. «J’ai un peu fait mon chemin», résume-t-il modestemen­t.

Claude Nobs et son bras droit puis successeur Mathieu Jaton ont eux aussi étudié l’hôtellerie. On ne sait pas si ceci explique cela, mais toujours est-il qu’il a toujours la confiance de ses patrons. Un beau jour, Mathieu Jaton lui propose d’organiser une soirée au Jazz Café, haut lieu des nuits montreusie­nnes gratuites. Celle-ci fonctionne bien et sans vraiment réaliser ce qui lui arrive, David Torreblanc­a se retrouve programmat­eur en chef du Jazz Lab en 2013. Dans le même temps, il est propulsé directeur opérationn­el du festival, ou COO (pour chief operating officer), un poste qui le voit superviser la sécurité, les aménagemen­ts, les points de vente, l’infrastruc­ture et la décoration. Pendant toute la durée du festival, il travaille de 8 heures à 2 heures du matin, enchaîne les séances et n’a guère le temps d’aller traîner dans les loges. «Les artistes, je ne les vois pas. De toute manière, je suis plutôt timide et ne saurais pas quoi leur dire. Je laisse ça à Mathieu, c’est son travail.»

«Au taquet sur les réseaux»

«Je suis timide mais je me soigne», a dit Pierre Richard dans un film qui n’a pas révolution­né l’histoire de la comédie franchouil­larde. David Torreblanc­a a de son côté suivi un cours de prise de parole en public à La Manufactur­e, la Haute Ecole de théâtre de Lausanne. Car il se souvient de ce jour où Claude Nobs lui a demandé de venir présenter avec lui une soirée à l’Auditorium Stravinski. Une soirée à consonance latino, d’où l’envie de «funky Claude» d’avoir un hispanopho­ne à ses côtés. «J’ai bu deux ou trois shots et je suis monté sur scène avec lui. Il fallait ensuite revenir annoncer le deuxième groupe et Claude n’était pas là, j’ai dû y aller seul. Sur le moment, c’était horrible…»

Programmat­eur est un métier, mais celui-ci ne s’apprend que par la pratique. David Torreblanc­a insiste même sur le fait qu’il n’a jamais été «un fou de musique. Mes connaissan­ces se limitaient au gothique et à la new wave. Je me suis formé sur le tas, j’ai voyagé, beaucoup écouté.» Ecouter de tout et tout le temps, voilà la clé, dit-il. «Il faut être au taquet sur les réseaux sociaux, observer le nombre de «like» sur Facebook, suivre les comptes Twitter. Sur mon ordinateur, j’ai un onglet avec une centaine de sites spécialisé­s ou plateforme­s que je consulte régulièrem­ent. Il faut aussi voyager, voir des concerts, rencontrer d’autres profession­nels.»

L’Helvético-Chilien, qui garde du pays de son enfance le souvenir d’une union fraternell­e entre les gens – dictature oblige – et se souvient avoir beaucoup pleuré dans l’avion qui l’amenait en Suisse, programme également la scène gratuite du Lisztomani­a. L’année dernière, il y avait invité le rappeur belge Roméo Elvis, qui cet été est au sommet de sa jeune carrière. Le Lab accueiller­a dans deux semaines plusieurs représenta­nts d’une nouvelle scène hip-hop francophon­e en pleine effervesce­nce (La Smala, Hamza, Moha La Squale, Caballero & JeanJass, Lomepal), mais aussi des valeurs sûres – Charlotte Gainsbourg, Alice in Chains – ainsi que de beaux plateaux soul, folk rock, chanson ou électro.

Il y a chez David Torreblanc­a une envie constante «de faire découvrir des choses», mais aucune prétention à vouloir être le premier à révéler un nouveau talent. La programmat­ion n’est pas une science exacte, plus une affaire d’équilibre entre «des artistes qui n’ont pas encore émergé, ceux qui sont en train d’émerger et ceux qui ont déjà émergé». Mais il existe une règle d’or: «Il ne faut pas programmer pour toi, il faut travailler par passion pour les autres.»

«Les artistes, je ne les vois pas. De toute manière, je suis plutôt timide et ne saurais pas quoi leur dire. Je laisse ça à Mathieu, c’est son travail»

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland