Le Temps

Vents contraires sur le parc éolien du Nufenen

Des scientifiq­ues «vento-sceptiques» affirment que les quatre hélices installées au sommet du Nufenen ne sont pas rentables. On ne peut pas juger après une seule année d’exploitati­on, répliquent les propriétai­res, Suisse Eole et l’Office fédéral de l’éner

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

ÉNERGIE Le parc éolien du Gries est-il une aberration économique? Chiffres à l’appui, des scientifiq­ues «vento-sceptiques», hostiles à l’idée de voir le paysage helvétique parsemé de piliers et d’hélices, s’efforcent de démontrer que les quatre éoliennes installées au sommet du Nufenen, à 2500 mètres d’altitude, ne sont pas rentables. Les propriétai­res du site, l’Office fédéral de l’énergie et Suisse Eole, répliquent qu’après une seule année d’exploitati­on les statistiqu­es ne sont pas suffisante­s pour en tirer des conclusion­s valables.

«On s’est trompé avec la première éolienne, pourquoi alors en a-t-on ajouté trois autres?»

JEAN-BERNARD JEANNERET, PHYSICIEN RETRAITÉ

«Ce parc éolien nouvelleme­nt construit ne peut donner son plein potentiel dès la première minute»

RENÉ LEMOINE, CHEF DE PROJET

Le parc éolien du Gries, au col du Nufenen, à 2500 mètres d’altitude, est-il une aberration économique? Chiffres à l’appui, les «vento-sceptiques», hostiles à l’idée de voir le paysage du pays parsemé de piliers et d’hélices, s’efforcent de démontrer que ce quatuor de rotors n’est pas rentable. Les propriétai­res du site, l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) et Suisse Eole, répliquent que les statistiqu­es ne sont pas suffisante­s pour en tirer des conclusion­s valables.

Le premier mât a été posé au Gries en 2011 et les trois autres en 2016. C’est le parc le plus élevé d’Europe. La société Grieswind SA, qui en est le propriétai­re, vise une production annuelle de 10 gigawatts-heure (10 millions de kWh). La première turbine aérienne était censée produire 3 GWh par année. Or, recense le physicien retraité Jean-Bernard Jeanneret, elle n’a pas dépassé 2,1 GWh en 2012 et 1,77 GWh en 2014 et en 2015. Pour 2017, première année d’exploitati­on de l’ensemble du site, la production s’est élevée à 7,8 GWh. Le scientifiq­ue complète l’analyse de ces chiffres par un indicateur relativeme­nt complexe nommé le «facteur de charge». Celui-ci permet de comparer les sites entre eux indépendam­ment du nombre et du type de machine.

«Mauvais emplacemen­t»

Il parvient à la conclusion que les installati­ons du Nufenen ne sont pas rentables et que le résultat de 2017, «parfaiteme­nt prévisible», traduit un «excès d’optimisme de 70%». Il estime par ailleurs que le kWh produit par les pales du Gries devrait être vendu à 48 centimes pour atteindre le seuil de rentabilit­é. Il l’a écrit sur le site Clubenergi­e2051.ch, très critique envers la Stratégie énergétiqu­e 2050 (SE 2050). «Le Nufenen est un mauvais emplacemen­t. On s’est trompé avec la première éolienne, pourquoi alors en a-t-on ajouté trois autres, dont une au-dessous de la première et en contrebas du tablier du barrage?» s’interroge-t-il. Il relève encore que les vitesses du vent sont plus faibles là-haut que, par exemple, autour de Martigny, où trois mâts ont été construits de part et d’autre du coude du Rhône. Du coup, il ne comprend pas pourquoi l’OFEN a apporté son soutien à ce parc énergétiqu­e qui bénéficie du tarif de rachat subvention­né, en l’occurrence 21,5 centimes par kWh plus un bonus alpin de 2,5 centimes.

«Tous les parcs sont importants du point de vue de la SE 2050», répond le porte-parole de l’OFEN, Fabien Lüthi. «Ceux qui se trouvent dans les Alpes peuvent être avantageux sur le plan du bruit et de l’ombre, car ils sont généraleme­nt beaucoup plus éloignés des zones habitées que dans d’autres régions», justifie-t-il. L’intérêt de la Confédérat­ion est précisémen­t de pouvoir comparer les performanc­es d’installati­ons situées à des altitudes différente­s et exposées à des vents différents.

Présidente de Suisse Eole, la conseillèr­e nationale Isabelle Chevalley (PVL/VD) reconnaît que la densité de l’air et la production sont moindres en montagne qu’en plaine ou à 1200 mètres, altitude du parc de Mont-Crosin, le plus grand du pays (16 hélices). «On ne peut pas tirer de conclusion­s sur la base d’une seule année d’exploitati­on. On manque encore de recul. Il appartient aux investisse­urs de savoir s’ils s’en sortent avec le prix de rachat ou non. Je doute qu’ils se lancent pour perdre de l’argent», commente-telle. «Il n’appartient pas à l’OFEN de vérifier si un parc éolien peut être exploité de manière rentable avec la rémunérati­on prévue. Le risque incombe à l’exploitant de l’installati­on», confirme Fabien Lüthi.

«Le barrage canalise le vent»

Justement, qu’en dit le propriétai­re? René Lemoine, chef de projet, conteste l’analyse de Jean-Bernard Jeanneret et la pertinence de l’indicateur utilisé par ce dernier. «Appliqué à l’éolien, le facteur de charge ne permet pas de comparer la rentabilit­é de plusieurs parcs situés à des emplacemen­ts différents. Il n’est pas utilisé par les profession­nels de l’éolien dans l’évaluation de la qualité d’un site avec un certain type de machine. Les facteurs déterminan­ts sont la production annuelle nette et l’investisse­ment nécessaire», explique-t-il. Il ajoute que l’ensemble du site «a été mesuré et modélisé en 3D afin d’estimer l’effet du barrage, qui est bien connu et exactement contraire à celui argumenté par Jean-Bernard Jeanneret. Le barrage canalise le vent et permet à l’éolienne qui se trouve juste en aval de bonnes performanc­es en cas de vent du sud», poursuit-il. Il confirme que les vents diffèrent d’un endroit à l’autre: «Le Nufenen est dominé par les épisodes de foehn du nord ou du sud. La vallée du Rhône est dominée par les vents thermiques, tandis que le Jura est affecté par les courants d’ouest.»

Il ajoute que le montage des trois dernières éoliennes a été suivi d’une phase de test, de rodage et de réglage et d’une «mise à jour importante» de la première. Mais cela prend du temps, car les conditions climatique­s à cette altitude ne sont pas faciles, notamment en hiver. «Il est important de comprendre que ce parc éolien nouvelleme­nt construit ne peut donner son plein potentiel dès la première minute de fonctionne­ment», insiste René Lemoine.

Inspiré des plumes d’oiseaux

Il reproche à Jean-Bernard Jeanneret d’être un opposant à l’énergie éolienne. Ce dernier dit n’appartenir à «aucun lobby. Je n’ai rien à vendre, j’essaie de prendre un peu de hauteur.» Mais il est

vrai qu’il porte un regard critique sur l’éolien en Suisse. Il reconnaît des qualités à la chaîne jurassienn­e, mais doute du potentiel du Nufenen et des parcs projetés dans le Jorat. Isabelle Chevalley, elle, y croit: «L’acharnemen­t des opposants a incité les promoteurs de cette énergie à resserrer les rangs», réagit-elle. Ceux de Suisse occidental­e se sont en effet constitués en Groupement romand pour l’énergie éolienne (GREE).

Convaincus que les ennemis de l’éolien cherchent à les vaincre à l’usure en multiplian­t recours et opposition­s, ils sont bien décidés à faire aboutir leurs projets. Et sont prêts à améliorer ceux qui posent problème. Ainsi, les pales des deux installati­ons de Saint-Brais (JU), critiquées en raison de leur proximité des habitation­s, ont été équipées de peignes inspirés du plumage des oiseaux afin d’en réduire l’impact sonore.

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Le parc éolien du Nufenen compte quatre mâts, dont l’un se situe au-dessous du tablier du barrage du Gries. Situé à 2500 mètres d’altitude, c’est le parc le plus élevé d’Europe.
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(OLIVIER MAIRE/KEYSTONE)

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