Le Temps

«La Suisse est artistique­ment un pays de duos»

- A. DF

Jean-Paul Felley et Olivier Kaeser ont codirigé jusqu’à ces jours le Centre culturel suisse de Paris. Ils dévoilent les secrets d’une complicité au long cours

«Oui, nous nous séparons.» Au téléphone, le Genevois Olivier Kaeser et le Valaisan JeanPaul Felley confirment d’une même voix la fin d’une alliance féconde. Près de trente ans de tête-à-tête. Des projets que l’un lance, que l’autre rattrape comme un ballon de volley. A la tête du Centre culturel suisse de Paris, ces collection­neurs de singularit­és ont poursuivi et amplifié un dialogue commencé à Genève avec l’espace d’art contempora­in Attitudes.

Une brouille alors? Non. Un changement de direction. A l’automne, Jean-Marc Diébold succédera au duo qui pendant dix ans aura révélé au public français la diversité de la scène contempora­ine suisse, celle des plasticien­s, des chorégraph­es, des performeur­s, etc. Jean-Paul Felley, lui, a déjà fait ses bagages ou presque: il vient de prendre les commandes de l’Ecole cantonale d’art du Valais.

Comment est né ce compagnonn­age? Jean-Paul Felley: On s’est rencontré à l’Université de Genève, on étudiait l’histoire de l’art. Très vite, nous nous sommes retrouvés à monter une exposition ensemble à la Fondation Louis Moret à Martigny. Puis il y a eu l’aventure d’Attitudes à Genève: nous pensions que cela durerait quelques mois et puis… Olivier Kaeser: Nous avons poursuivi sans plan de carrière. Nous avions des projets d’exposition­s sans cesse. Ce qui est rare, c’est de passer d’une structure indépendan­te à une institutio­n comme le CCS.

Comment fait-on pour diriger aussi longtemps une structure à deux?

O. K.: La Suisse est culturelle­ment un pays de duos. Pensez aux plasticien­s Peter Fischli et David Weiss, aux architecte­s Jacques Herzog et Pierre de Meuron. A un autre niveau, nous avons partagé le plaisir de la responsabi­lité. J.-P. F.: Quand on est deux à diriger, on ne doit jamais oublier qu’on travaille aussi avec une équipe et des partenaire­s multiples. Il ne faut pas qu’il y ait de doute sur le fait qu’une décision nous engage tous les deux. Le moindre e-mail a toujours été signé par nous deux.

Avez-vous toujours été d’accord sur les exposition­s et événements organisés au CCS? J.-P. F.: Notre règle était que l’autre devait être d’accord. Si Olivier n’était pas intéressé, je laissais tomber.

O. K.: Tout ce que nous avons réalisé était le fruit d’une discussion. Je pouvais ne pas être convaincu au départ et finalement Jean-Paul retournait la situation.

Avec son équipe de onze personnes, le CCS est d’une taille modeste. Verriez-vous un binôme à la tête d’une grosse institutio­n, le Musée d’art et d’histoire de Genève par exemple, qui cherche une nouvelle direction?

O. K.: Bien sûr, mais tout dépend de l’alliage. Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans ont dirigé ensemble le Palais de Tokyo, ce grand musée parisien dédié à l’art contempora­in.

J.-P. F.: Ça n’a rien à voir avec la taille. On peut diriger une grosse maison à deux. Le bureau Herzog & de Meuron, ce sont 200 personnes au moins et un chiffre d’affaires très important. Deux fortes têtes ne nuisent pas à la vitalité d’une entreprise, bien au contraire.

Pourquoi vous séparer?

O. K.: Nous n’avions pas la même vision de la fin de notre action au CCS. Jean-Paul avait envie d’un autre défi. Moi, je souhaitais aller jusqu’au bout des projets lancés ici, avant de passer le témoin à notre successeur. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas postulé ailleurs. Pour la suite, je verrai, je ne me projette pas.

Le secret de cette complicité au fond? J.-P. F.: Une amitié qui n’a cessé de grandir au fil des années. Nous avions la chance que notre métier coïncide avec notre passion. La seule règle que nous nous sommes donnée, c’était de ne jamais partir en vacances ensemble. Chacun de nous a sa vie privée. C’est l’un des secrets de notre duo.

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