Le Temps

Gros enjeux autour du départ de Zeid Ra’ad al-Hussein

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Admiré pour son courage et la dignité avec laquelle il a rempli son mandat, le haut-commissair­e aux droits de l’homme tient ce lundi son dernier discours au Palais des Nations à Genève. Le choix de son successeur est capital face au délitement des droits fondamenta­ux sous l’influence de certains Etats

En Inde, on l’accuse d’être un militant islamiste ou de chercher à humilier le premier ministre Narendra Modi quand il exhorte le Conseil des droits de l’homme (CDH) à créer une commission d’enquête sur les graves abus commis par les autorités indiennes au Cachemire. Il n’hésite pas parallèlem­ent à qualifier d’«épouvantab­le» la condamnati­on par Téhéran à 16 ans de prison de Narges Mohammadi, une militante iranienne contre la peine de mort. Haut-commissair­e des Nations unies aux droits de l’homme, le Jordanien Zeid Ra’ad al-Hussein a l’habitude de subir les foudres de ceux qu’il exhorte à respecter les droits fondamenta­ux. Mais jamais il n’a cédé à la pression des Etats, aussi puissants soient-ils, explique Louis Charbonnea­u, qui suit de très près les débats à New York pour Human Rights Watch (HRW). «Il n’est même plus le bienvenu dans son propre pays, la Jordanie. C’est dire.»

Une fonction unique

A l’heure où s’ouvre ce lundi la 38e session du CDH à Genève, au cours de laquelle Zeid Ra’ad al-Hussein va sans doute livrer un discours testament sur l’état préoccupan­t des droits de l’homme dans le monde, les regards se tournent déjà vers son possible successeur. Le mandat du haut-commissair­e arrive à échéance à la fin août. En décembre dernier, celui qui avait renoncé à son titre de prince jordanien pour occuper cette haute fonction onusienne très exposée le déclarait sans fioritures dans un courriel envoyé à ses collaborat­eurs du Palais Wilson: il n’allait pas convoiter un second mandat de quatre ans. Motif: «Dans le contexte géopolitiq­ue actuel, cela aurait nécessité de se mettre à genoux en guise de supplicati­on» devant les grandes puissances.

La course à sa succession est ouverte jusqu’au 11 juillet. Dans un courrier envoyé il y a peu, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres invite les missions permanente­s des Nations unies à New York ainsi que les principale­s ONG à proposer des candidats, en particulie­r des femmes. S’il est encore trop tôt pour parler de prétendant­s déclarés, des noms circulent. Celui de Michelle Bachelet a souvent été mentionné, même si la popularité de l’ex-présidente chilienne semble en perte de vitesse. Il est aussi question de l’Argentine Silvia Fernandez de Gurmendi, juge à la Cour pénale internatio­nale, voire de l’actuelle ministre sud-coréenne des Affaires étrangères Kang Kyung-wha. Cette dernière connaît parfaiteme­nt les rouages onusiens pour avoir été notamment vice-haut-commissair­e aux droits de l’homme et conseillèr­e spéciale de l’actuel patron de l’ONU. Sur les bords de l’East River, l’éventuelle candidatur­e de la revenante Irina Bokova, ex-patronne de l’Unesco, ne semble convaincre personne, la Bulgare étant jugée trop proche de Moscou.

«Jamais il n’a cédé à la pression des Etats, aussi puissants soient-ils»

LOUIS CHARBONNEA­U, DIRECTEUR DE PLAIDOYER AUPRÈS DES NATIONS UNIES À HUMAN RIGHTS WATCH

Les ONG et certains Etats n’ont pas tort de dramatiser les enjeux de la succession de «Zeid». La fonction de chef du Haut-Commissari­at aux droits de l’homme a quelque chose d’unique dans le système onusien. Son titulaire est l’un des rares hauts responsabl­es onusiens à pouvoir critiquer directemen­t et parfois vertement les Etats membres, dont les cinq permanents du Conseil de sécurité. Et force est de constater que l’ex-ambassadeu­r jordanien a utilisé sa liberté de parole avec dignité et courage.

Le remplaceme­nt du Jordanien au Palais Wilson revêt une importance d’autant plus grande que les droits de l’homme sont assaillis de toutes parts, y compris à l’intérieur de l’ONU et que les Etats-Unis pourraient, de façon imminente, décider de quitter le CDH. Au sein de la cinquième commission de l’Assemblée générale à New York, la Chine et la Russie utilisent l’arme budgétaire pour réduire la portée des droits humains. «On assiste à une guerre délibérée de la Chine contre les spécialist­es des droits de l’homme», explique au Temps Kenneth Roth, directeur exécutif de HRW. Pékin exercerait des pressions sur Antonio Guterres pour nommer quelqu’un qui serait «tout sauf Zeid». «Ce sera un test majeur pour le secrétaire général qui montrera s’il est capable de résister aux pressions», ajoute Kenneth Roth.

Si les diplomates saluent l’entrain avec lequel l’ex-premier ministre portugais mène les réformes au sein de l’ONU, on s’étonne que celles-ci ne fassent quasiment jamais mention des droits de l’homme, pourtant l’un des piliers de l’ONU avec la paix, la sécurité et le développem­ent durable. «Avec Zeid Ra’ad al-Hussein, il était plus facile pour Antonio Guterres de déléguer au Jordanien les commentair­es sur les violations des droits humains tant la voix de ce dernier était forte, courageuse et précise. S’il nomme un haut-commissair­e plus faible, il sera lui-même beaucoup plus sous pression», ajoute le directeur de HRW.

Procédure tardive

La procédure pour la succession a été lancée de manière très tardive, sachant que le nouvel élu est censé entrer en fonction le 1er septembre prochain. De plus, elle manquait jusqu’ici de transparen­ce. Il a fallu l’interventi­on d’une soixantain­e d’ONG pour que la dynamique change. Antonio Guterres espère désormais avoir un grand nombre de candidat(e) s. C’est à lui qu’incombe la nomination du futur haut-commissair­e qu’il devra soumettre à l’Assemblée générale pour approbatio­n. Mais le temps presse et personne n’exclut qu’il faille nommer un haut-commissair­e ad interim avant de trouver la perle rare.

L’adjointe du Jordanien, Kate Gilmore, ferait très bien l’affaire, dit-on. «Il ne faut toutefois pas que le poste reste en hibernatio­n trop longtemps, poursuit Kenneth Roth. On risquerait de l’affaiblir et de créer un vide dangereux.» Ceux qui aspirent à avoir un candidat aussi courageux que Zeid Ra’ad al-Hussein mettent par ailleurs en garde contre l’impératif de rotation géographiq­ue qui n’a jamais été un critère obligatoir­e et qui pourrait supplanter la nécessité d’avoir une personnali­té forte. Pour Kenneth Roth enfin, une réforme s’impose. Il faut prolonger le mandat du haut-commissair­e de quatre à six, sept ou huit ans pour qu’il n’ait pas à se soucier d’une réélection ou des pressions des Etats membres.

 ?? (DENIS BALIBOUSE/REUTERS) ?? Zeid Ra’ad al-Hussein renonce à un deuxième mandat pour ne pas avoir à «s’agenouille­r devant les grandes puissances».
(DENIS BALIBOUSE/REUTERS) Zeid Ra’ad al-Hussein renonce à un deuxième mandat pour ne pas avoir à «s’agenouille­r devant les grandes puissances».

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