Le Temps

En Afrique, l’Eglise catholique s’engage dans le champ politique

- CHRISTINE VON GARNIER DOCTEUR EN SOCIOLOGIE POLITIQUE ET JOURNALIST­E

Au sud du Sahara où il y a tant de violences, l'Eglise catholique est de plus en plus sollicitée et active dans le champ politique. Le pape Jean-Paul II avait interdit toute activité politique de l'Eglise (sauf en Pologne!), mais Benoît XVI a précisé sans équivoque «que la parole des évêques était attendue face aux problèmes politiques touchant les processus électoraux, les injustices, les droits humains». Aujourd'hui, le lien entre le pape François et les évêques africains est très fort.

Parmi les cardinaux que comprend son G8 pour réformer la gouvernanc­e de l'Eglise, il a choisi entre autres Laurent Monsengwo, qui incarne en République démocratiq­ue du Congo (RDC) l'opposition de l'Eglise à Joseph Kabila. Dans l'ensemble du continent africain, l'Eglise catholique, avec d'autres chrétiens – mais, semble-t-il, pas les évangéliqu­es – et même des musulmans, veut surtout défendre les jeunes qui souffrent de vivre dans des pays gangrenés par la corruption.

Quelque 70% des Subsaharie­ns ont moins de 30 ans. Le nombre des catholique­s a augmenté de 7,4 millions en 2015, alors qu'en Europe il diminue de 1,3 million chaque année. La mobilisati­on de l'Eglise pour la justice est scrutée par les jeunes qui aspirent à la démocratis­ation, mais qui ne la voient toujours pas arriver. Faute de changement­s, beaucoup prennent alors le chemin d'un exil dangereux. Manipulati­ons des élections, violences ethniques, mauvaise gouvernanc­e, chômage, tous ces maux pourrissen­t les sociétés africaines.

Quelques exemples: après avoir joué le rôle de médiateur en RDC, et présidé l'accord sur le nouveau calendrier pour l'élection présidenti­elle à la fin de 2017, l'épiscopat constate la mauvaise foi du clan Kabila et décide de dénoncer ces manoeuvres. Il soutient les manifestat­ions contre le régime, organisées par les fidèles catholique­s. Deux prêtres ont déjà été assassinés.

En Afrique du Sud, on connaît l'implicatio­n de toutes les Eglises chrétienne­s contre l'apartheid (sauf l'Eglise calviniste au pouvoir). Au Kenya, les évêques sont intervenus pour faire cesser les violences post-électorale­s. Les évêques sont aussi intervenus en Tanzanie, au Soudan du Sud, au Mozambique, où ils ont dénoncé les mêmes fléaux et l'achat ou la vente de terres africaines par des étrangers. Les différente­s Eglises chrétienne­s ont réussi à convaincre le premier président noir de Namibie, Sam Nujoma, de ne pas se représente­r pour un troisième mandat. Récemment, le 26 avril, face au risque de guerre civile avec les parties anglophone­s du nord, le gouverneme­nt du Cameroun a demandé la médiation de l'Eglise catholique.

Enfin, dernière action en date: les évêques du Nigeria (75 millions de catholique­s sur 186 millions d'habitants) ont demandé la démission du président Buhari (75 ans) après le massacre le 24 avril de deux prêtres et 16 fidèles dans une église de l'Etat de Benue. Un massacre attribué à des éleveurs en majorité musulmans. En guise de représaill­es, une foule a lynché à mort 11 musulmans dans le même Etat. «Si le président ne peut pas protéger notre pays, alors il perd automatiqu­ement la confiance des citoyens, écrivent les évêques, il ne doit plus continuer à présider les champs de tuerie et le cimetière massif qu'est devenu notre pays…» La menace du groupe djihadiste Boko Haram (pour qui l'enseigneme­nt occidental est un péché), avec la baisse du cours du pétrole, a plongé le pays dans une récession économique grave. Pourtant le président Buhari est le premier chef d'Etat africain à avoir été invité ces jours à la Maison-Blanche.

L'Eglise catholique avec sa hiérarchie et des imams (Centrafriq­ue) tentent courageuse­ment de barrer la route à toutes ces violences, injustices et brutalités, parfois avec succès, d'autres fois en se retirant discrèteme­nt (Burundi). L'obscuranti­sme des uns et l'égoïsme des autres plombent le développem­ent. Les multinatio­nales étrangères, banques comprises, sont largement responsabl­es de créer des conflits. Surtout, le mauvais exemple donné actuelleme­nt par les hommes d'affaires français corrompus et les manifestat­ions continuell­es contre le pouvoir jouent aussi leur rôle. Enfin, on peut se demander pourquoi la franc-maçonnerie, dont sont membres plusieurs grands chefs d'Etat et des femmes, n'a pas réussi à juguler ces problèmes.

Les Eglises chrétienne­s ont réussi à convaincre le premier président noir de Namibie de ne pas se représente­r pour un troisième mandat

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