Comment éviter le piège psychologique de l’investisseur
Les fonds de placement obligataires, par exemple, ont longtemps sous-performé. Selon Morningstar, la faute en revient à des erreurs mentales des gérants. Le changement de politique des banques centrales pourrait tout modifier. Les obligations émergentes préférées même aux actions?
Les médias ne sont pas les seuls à évaluer leurs articles les plus lus. L’institut de recherche Morningstar le fait également. Le texte le plus lu sur le site Morningstar.de a porté sur «Les fonds obligataires sont des échecs de naissance», explique Ali Masarwah, analyste auprès de cet institut. Avant d’évaluer les stratégies possibles pour le deuxième semestre, attachons-nous à revenir sur cet échec.
Effectivement, la plupart des fonds obligataires actifs sous-performent leurs indices de référence. Les raisons sont en partie techniques, explique Ali Masarwah. Les fonds tentent de coller à l’indice, occasionnant des frais de transactions qui sont plus nombreux que pour les fonds en actions et qui détériorent le rendement net.
Deux catégories de lacunes conceptuelles
Le problème tient surtout à de «lourdes lacunes conceptuelles des gérants européens qui ont coûté cher aux investisseurs», selon la thèse d’Ali Masarwah. L’origine de l’erreur peut être expliquée par les travaux de finance comportementale et concerne le rôle hyperactif des banques centrales, avant tout de la BCE, après la crise financière.
Les programmes de rachats de titres des banques centrales ont été fréquemment dénoncés comme des manipulations de cours. «Mais les gérants n’ont pas tiré toutes les conséquences de ces interventions», selon Ali Masarwah. Ils sont partis de l’idée que les marchés obligataires étaient surévalués; toutefois, ces évaluations n’étaient pas fondées sur un comportement irrationnel des investisseurs, mais sur une stratégie consciemment établie par les banques centrales. Tant que ces dernières maintenaient cette politique, il n’y avait pas lieu de positionner les portefeuilles en vue d’une hausse des taux. «Aujourd’hui, il peut être correct de réduire le risque de duration dans les portefeuilles obligataires», selon Morningstar.
La deuxième lacune intellectuelle des gérants est liée aux craintes à l’égard des marchés périphériques, arguant par ailleurs que les indices obligataires surpondéraient la dette des pays du sud. Ce dernier point est une erreur, selon Ali Masarwah. Les obligations allemandes et françaises ont une pondération supérieure. Et surtout, la stratégie de la BCE réduisait le risque éventuel des obligations périphériques. Beaucoup de gérants critiques de la BCE ont donc fait preuve d’un «aveuglement idéologique».
L’heure des fonds actifs
L’assouplissement quantitatif a facilité la hausse des marchés d’actions. Les fonds passifs en ont profité alors que les fonds actifs ont déçu, mais avec le changement de politique des principales banques centrales, «les fonds actifs devraient redevenir plus performants. La dispersion des rendements par secteur et par région va fortement augmenter», affirme Nannette HechlerFayd’herbe, responsable de la stratégie d’investissement et de la recherche auprès de Credit Suisse. La «renaissance de la gestion active», pour reprendre ses termes, a déjà débuté dans les actions. Par contre, dans les obligations, la récente nouvelle baisse des taux d’intérêt a troublé les esprits.La stratégiste pense que la normalisation va réellement se produire également sur les marchés de la dette. Credit Suisse sous-pondère les obligations souveraines et surpondère la dette émergente (en monnaies fortes et locales) et les emprunts convertibles. La gestion active devrait donc primer aussi dans les investissements à taux fixe. «Mais pour un portefeuille mixte, nous préférons clairement les actions aux obligations parce que ces dernières ne compensent pas l’investisseur pour le risque qu’ils prennent», ajoute-t-elle. Même une petite normalisation des taux d’intérêt conduit à un rendement négatif.Le marché a déjà réagi aux décisions de la Fed et de la Banque centrale européenne. La BCE a laissé entrevoir la fin des achats de titres au quatrième trimestre 2018 et des taux inchangés jusqu’à l’été 2019. «Les taux d’intérêt européens sont plus bas que ne le justifient les fondamentaux», avance la stratégiste, laquelle anticipe une hausse des taux directeurs européens mi-2019.Le problème italien ne devrait pas empêcher un resserrement monétaire et se situer davantage dans le changement de politique budgétaire italienne, laquelle deviendra sans doute plus expansive, que dans une incertitude sur l’avenir de la composition de l’euro. La dette publique italienne devrait donc s’accroître, ce qui peut s’accompagner d’une hausse de l’écart de taux. L’Italie est sous-pondérée par la grande banque.
Les obligations émergentes plutôt que les actions
La Turquie et l’Argentine suscitent des inquiétudes de la part des investisseurs pour la dette émergente. Mais Credit Suisse constate que ce sont des exceptions. De nombreux pays émergents ont amélioré leurs comptes courants depuis 2014. A l’égard de la Turquie et de l’Argentine, la stratégiste se dit rassurée par la réaction des banques centrales, un signe que les marchés ont jugé nécessaire pour endiguer le risque de contagion à l’ensemble des actifs des marches émergents. «Leur réaction envoie un signal positif au marché à l’égard de l’ensemble des obligations émergentes», pense-t-elle.
Sur les marchés émergents, les analystes de Morgan Stanley préfèrent d’ailleurs les obligations aux actions. Ils envisagent un rendement de 8,3% pour les premières sur un an contre 4,9% pour les secondes. Leur argument se fonde sur les évaluations, bon marché pour les premières et chères pour les secondes, une estimation de la croissance des bénéfices excessivement optimiste de la part du marché. De plus, lors des derniers épisodes de fin de cycle et d’aplanissement de la courbe des taux d’intérêt, le rendement annuel a été négatif de 2,9% dans les actions émergentes et positif de 11,1% dans le crédit souverain. Enfin, une baisse des émissions obligataires émergentes renforce l’attrait de cette classe d’actifs.n
Beaucoup de gérants critiques de la BCE ont donc fait preuve d’un «aveuglement idéologique»