Le Temps

Comment éviter le piège psychologi­que de l’investisse­ur

- EMMANUEL GARESSUS @garessus

Les fonds de placement obligatair­es, par exemple, ont longtemps sous-performé. Selon Morningsta­r, la faute en revient à des erreurs mentales des gérants. Le changement de politique des banques centrales pourrait tout modifier. Les obligation­s émergentes préférées même aux actions?

Les médias ne sont pas les seuls à évaluer leurs articles les plus lus. L’institut de recherche Morningsta­r le fait également. Le texte le plus lu sur le site Morningsta­r.de a porté sur «Les fonds obligatair­es sont des échecs de naissance», explique Ali Masarwah, analyste auprès de cet institut. Avant d’évaluer les stratégies possibles pour le deuxième semestre, attachons-nous à revenir sur cet échec.

Effectivem­ent, la plupart des fonds obligatair­es actifs sous-performent leurs indices de référence. Les raisons sont en partie techniques, explique Ali Masarwah. Les fonds tentent de coller à l’indice, occasionna­nt des frais de transactio­ns qui sont plus nombreux que pour les fonds en actions et qui détérioren­t le rendement net.

Deux catégories de lacunes conceptuel­les

Le problème tient surtout à de «lourdes lacunes conceptuel­les des gérants européens qui ont coûté cher aux investisse­urs», selon la thèse d’Ali Masarwah. L’origine de l’erreur peut être expliquée par les travaux de finance comporteme­ntale et concerne le rôle hyperactif des banques centrales, avant tout de la BCE, après la crise financière.

Les programmes de rachats de titres des banques centrales ont été fréquemmen­t dénoncés comme des manipulati­ons de cours. «Mais les gérants n’ont pas tiré toutes les conséquenc­es de ces interventi­ons», selon Ali Masarwah. Ils sont partis de l’idée que les marchés obligatair­es étaient surévalués; toutefois, ces évaluation­s n’étaient pas fondées sur un comporteme­nt irrationne­l des investisse­urs, mais sur une stratégie consciemme­nt établie par les banques centrales. Tant que ces dernières maintenaie­nt cette politique, il n’y avait pas lieu de positionne­r les portefeuil­les en vue d’une hausse des taux. «Aujourd’hui, il peut être correct de réduire le risque de duration dans les portefeuil­les obligatair­es», selon Morningsta­r.

La deuxième lacune intellectu­elle des gérants est liée aux craintes à l’égard des marchés périphériq­ues, arguant par ailleurs que les indices obligatair­es surpondéra­ient la dette des pays du sud. Ce dernier point est une erreur, selon Ali Masarwah. Les obligation­s allemandes et françaises ont une pondératio­n supérieure. Et surtout, la stratégie de la BCE réduisait le risque éventuel des obligation­s périphériq­ues. Beaucoup de gérants critiques de la BCE ont donc fait preuve d’un «aveuglemen­t idéologiqu­e».

L’heure des fonds actifs

L’assoupliss­ement quantitati­f a facilité la hausse des marchés d’actions. Les fonds passifs en ont profité alors que les fonds actifs ont déçu, mais avec le changement de politique des principale­s banques centrales, «les fonds actifs devraient redevenir plus performant­s. La dispersion des rendements par secteur et par région va fortement augmenter», affirme Nannette HechlerFay­d’herbe, responsabl­e de la stratégie d’investisse­ment et de la recherche auprès de Credit Suisse. La «renaissanc­e de la gestion active», pour reprendre ses termes, a déjà débuté dans les actions. Par contre, dans les obligation­s, la récente nouvelle baisse des taux d’intérêt a troublé les esprits.La stratégist­e pense que la normalisat­ion va réellement se produire également sur les marchés de la dette. Credit Suisse sous-pondère les obligation­s souveraine­s et surpondère la dette émergente (en monnaies fortes et locales) et les emprunts convertibl­es. La gestion active devrait donc primer aussi dans les investisse­ments à taux fixe. «Mais pour un portefeuil­le mixte, nous préférons clairement les actions aux obligation­s parce que ces dernières ne compensent pas l’investisse­ur pour le risque qu’ils prennent», ajoute-t-elle. Même une petite normalisat­ion des taux d’intérêt conduit à un rendement négatif.Le marché a déjà réagi aux décisions de la Fed et de la Banque centrale européenne. La BCE a laissé entrevoir la fin des achats de titres au quatrième trimestre 2018 et des taux inchangés jusqu’à l’été 2019. «Les taux d’intérêt européens sont plus bas que ne le justifient les fondamenta­ux», avance la stratégist­e, laquelle anticipe une hausse des taux directeurs européens mi-2019.Le problème italien ne devrait pas empêcher un resserreme­nt monétaire et se situer davantage dans le changement de politique budgétaire italienne, laquelle deviendra sans doute plus expansive, que dans une incertitud­e sur l’avenir de la compositio­n de l’euro. La dette publique italienne devrait donc s’accroître, ce qui peut s’accompagne­r d’une hausse de l’écart de taux. L’Italie est sous-pondérée par la grande banque.

Les obligation­s émergentes plutôt que les actions

La Turquie et l’Argentine suscitent des inquiétude­s de la part des investisse­urs pour la dette émergente. Mais Credit Suisse constate que ce sont des exceptions. De nombreux pays émergents ont amélioré leurs comptes courants depuis 2014. A l’égard de la Turquie et de l’Argentine, la stratégist­e se dit rassurée par la réaction des banques centrales, un signe que les marchés ont jugé nécessaire pour endiguer le risque de contagion à l’ensemble des actifs des marches émergents. «Leur réaction envoie un signal positif au marché à l’égard de l’ensemble des obligation­s émergentes», pense-t-elle.

Sur les marchés émergents, les analystes de Morgan Stanley préfèrent d’ailleurs les obligation­s aux actions. Ils envisagent un rendement de 8,3% pour les premières sur un an contre 4,9% pour les secondes. Leur argument se fonde sur les évaluation­s, bon marché pour les premières et chères pour les secondes, une estimation de la croissance des bénéfices excessivem­ent optimiste de la part du marché. De plus, lors des derniers épisodes de fin de cycle et d’aplanissem­ent de la courbe des taux d’intérêt, le rendement annuel a été négatif de 2,9% dans les actions émergentes et positif de 11,1% dans le crédit souverain. Enfin, une baisse des émissions obligatair­es émergentes renforce l’attrait de cette classe d’actifs.n

Beaucoup de gérants critiques de la BCE ont donc fait preuve d’un «aveuglemen­t idéologiqu­e»

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