Le Temps

Sébastien Vuignier, l’agent valaisan qui fait tourner Radiohead

SÉBASTIEN VUIGNIER Ancien programmat­eur de l’Usine genevoise et du Paléo, le Valaisan a fondé l’agence Takk, avec laquelle il fait tourner Muse ou Radiohead en Suisse

- DAVID BRUN-LAMBERT

«Je suis devenu programmat­eur sans même savoir à combien se monte un cachet d’artiste»

En arrivant en avance à notre rendez-vous avec «Séb» Vuignier dans un café lausannois, on pensait disposer de temps pour réviser nos notes à son sujet. Mais non: assis dans un fauteuil disposé face à l’entrée, l’agent nous attendait, manières aimables et lunettes de garçon sage. «On se met dehors?» Un café plus tard, on interroge sur sa course impeccable ce Valaisan devenu loup blanc du live business en Suisse. «Je n’ai jamais eu de plan de carrière, prévient-il. A l’origine, je pensais devenir journalist­e.» Le voilà à présent occupé à faire tourner Queens of the Stone Age, Warhaus ou Algiers dans les festivals de l’été.

Qui fréquente concerts ou festivals pop-rock à Genève ou Berne a forcément un jour croisé le patron de Takk – «généraleme­nt au fond de la salle et pas loin du bar», comme il le précise. Passionné, réputé infatigabl­e, le résident sédunois, 47 ans, grandi avec Pixies en toile de fond, compte parmi les figures les plus fiables d’une profession confrontée à d’importants changement­s. Des bouleverse­ments autour desquels il est régulièrem­ent invité à prêter son expertise par les médias romands. D’abord parce que son agence lancée en 2009 fait jouer chez nous un nombre ahurissant de talents indés prometteur­s ou confirmés, de Jorja Smith à Arctic Monkeys. Ensuite parce que son parcours mené au sein de structures culturelle­s fameuses l’a amené à observer la course du music business de l’intérieur depuis vingt ans.

Les mains dans le cambouis

«J’ai débuté par le bénévolat, résume Séb Vuignier, en tirant des bières derrière le bar de l’Usine, à Genève, puis en devenant tour manager du groupe genevois Maniacs. Pour eux, je faisais tout: décharger et remballer le matériel, conduire le bus, encaisser le paiement. Ça m’a formé aux coulisses de ce métier et m’a fait découvrir tous les clubs de Suisse.» Jusqu’à ce qu’en 1996 Eric «Polar» Linder, fraîchemen­t nommé programmat­eur du festival de La Bâtie, lui propose de le remplacer à l’Usine PTR. «Je suis devenu programmat­eur sans même savoir à combien se monte un cachet d’artiste», s’amuset-il. Pas grave. Il apprend vite. «Booker» un groupe, rédiger un contrat, organiser la promo d’un concert, faire imprimer et coller des affiches ou préparer un catering devient son quotidien durant trois ans passés place des Volontaire­s. «J’avais un mi-temps à l’Usine, mais j’y passais ma vie», se souvient-il. Une existence poursuivie, à 23 ans, constammen­t sous pression, mais dans l’exaltation du succès – et «quelques gueules de bois successive­s aux flops, aussi».

«A l’Usine, j’avais constammen­t les mains dans le cambouis, assure-t-il. En rejoignant une structure plus importante, je ne mesurais pas que j’aurais moins de latitude.» La «grosse boîte», c’est Nouba, agence créée par Paléo et que dirige Marc Ridet. Pour agréments: voyages et concerts à l’autre bout du monde. Pour contrainte: une activité limitée au booking. Le Valaisan se sent «à l’étroit». Patrick David, manager de Sophie Hunger, lui offre alors la programmat­ion du Cargo, salle de spectacle éphémère créée pour Expo.02. Il fonce. Et qu’importe si, une fois le raout achevé, son contrat à durée déterminée expire. «Là, Daniel Rossellat m’a proposé de revenir à Paléo et de seconder Jacques Monnier à la programmat­ion. Durant six ans, ça a été hyper-enrichissa­nt et créatif. J’ai aussi appris à prendre de la distance avec les critiques que chaque programme suscitait. Ironiqueme­nt, c’est aussi à cette époque que les amis de mes parents ont compris ce que je faisais. Avant, ils me croyaient saltimbanq­ue», rigole-t-il.

Catalogue anglo-saxon

Pas encore 40 ans, aucune charge de famille et une «grosse envie» d’entreprend­re de «nouvelles choses»: après des mois de réflexion, Séb Vuignier lâche Paléo pour lancer son agence. «Tu es fou!» lui jurent les pros romands. «Travaillon­s ensemble», proposent ses homologues alémanique­s. «J’ai quitté le festival en excellents termes, déclare-t-il, commençant en 2009 avec un petit catalogue constitué d’artistes anglo-saxons qui me faisaient confiance. Pour le reste? J’ai travaillé dur.» Jusqu’à ce que la chance s’en mêle en 2011 quand, dans un pub de Brighton, le manager de Muse lui propose de faire tourner le trio en Suisse. Réponse: oui! Et cela malgré l’énorme prise de risque que la production d’un concert de stade laisse supposer.

«Que les choses se passent un tout petit peu mal, et les conséquenc­es financière­s auraient pu être dramatique­s, reconnaît-il. Mais le risque, c’est l’ADN de ce métier. Et puis refuser cette opportunit­é, c’était me condamner à stagner.» En juin 2013, Muse remplit le Stade de Suisse. Trois ans après, Séb fait successive­ment jouer le groupe sur les scènes de Montreux, Paléo et Gurten. Depuis? «Le statut de Takk est conforté», élude-t-il. Le quittant, on l’interroge une dernière fois. Quel groupe aimerait-il produire? «Je travaille avec Radiohead, qu’est-ce que je pourrais faire de mieux… Nick Cave? J’adorerais, mais je suis aussi heureux d’aller le voir jouer sans avoir à bosser!»

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