Le Temps

A quoi joue Ignazio Cassis? Le coup de griffe de François Nordmann

- FRANÇOIS NORDMANN

Les négociatio­ns sur l’accord institutio­nnel avec l’Union européenne sont entrées dans une phase délicate. La négociatio­n au niveau des délégation­s techniques devrait s’achever cet été. Le 2 mars dernier, le Conseil fédéral a fait savoir qu’il comptait les terminer cette année encore. Les points de désaccord qui subsistera­ient après que le secrétaire d’Etat Roberto Balzaretti aura rendu son rapport seront traités à l’échelon politique entre le conseiller fédéral Ignazio Cassis et M. Johannes Hahn, membre de la Commission européenne, son interlocut­eur officiel. Mais il est peu probable que les problèmes en suspens puissent être tous réglés à ce niveau.

C’est l’intérêt personnel du président de la Commission, M. Jean-Claude Juncker, qui a permis la relance des pourparler­s qui se traînaient depuis 2014, lors de sa visite à Berne le 23 novembre 2017. C’est alors que le Conseil fédéral et les partis gouverneme­ntaux ont pris conscience de l’urgence d’en finir. Les propositio­ns dont il était porteur ont débloqué la question du règlement des différends en introduisa­nt une certaine dose d’arbitrage dans la procédure envisagée. Certes, il a dû appuyer son message d’une démonstrat­ion de force, en limitant à une année la reconnaiss­ance de l’équivalenc­e des réglementa­tions boursières. Le recours à ce levier politique a été mal pris en Suisse mais il a eu l’effet escompté. Il est donc logique de penser que c’est au cours d’un entretien entre le président de la Confédérat­ion et M. Juncker que l’accord institutio­nnel sera conclu, vers la fin de l’année 2018 ou au plus tard au début de l’année prochaine. Contrairem­ent à ce qui a été dit, la Commission est en mesure de négocier au moins jusqu’à l’été 2019. Son mandat devrait prendre fin le 30 octobre 2019. Les négociatio­ns du Brexit avec le Royaume-Uni devraient s’achever à l’automne 2018, pour laisser place aux travaux parlementa­ires de ratificati­on avant le 30 mars 2019.

Les négociateu­rs achoppent maintenant sur les mesures d’accompagne­ment. De tout temps, la Commission s’en est prise à la règle des «huit jours», qui lui paraît protection­niste et favorisant les maîtres d’état suisses. L’Union partage avec la Suisse l’objectif de lutter contre le dumping social mais elle veut que les travailleu­rs européens puissent faire jeu égal sur le marché du travail suisse. Une solution pourrait se dessiner autour d’une période de transition, qui facilitera­it à terme la convergenc­e des deux systèmes de protection: l’Europe a commencé en 2015 à assouplir en ce sens les règles absolues de la libre circulatio­n des personnes et a poursuivi depuis dans cette voie. Sans concession sur ce point, il n’y aura pas d’accord institutio­nnel.

M. Cassis doit en convaincre les syndicats et partis de gauche, dont l’appui sera essentiel lors du scrutin populaire. Au lieu de les consulter, il préfère les provoquer. Pourtant, il ne saurait mener une politique partisane. Il aurait pu préparer le terrain, ne serait-ce que lors de ses discours au parlement la semaine dernière. Il aurait pu établir des relations de confiance avec les dirigeants politiques et syndicaux concernés. Il aurait pu s’abstenir d’abattre ses cartes avant terme, ce qui affaiblit sa position de négociateu­r avec l’UE. Il aurait pu mettre en valeur l’aspect positif d’un accord qui pérenniser­ait les postulats de base du monde du travail suisse. Au lieu de quoi il se met à dos cet électorat, les siens n’étant pas les derniers à lui reprocher sa maladresse tactique.

Il lui reste à régler avec plus de tact notamment la question des aides d’Etat et celle du champ d’applicatio­n de l’accord. Il doit surtout se montrer beaucoup plus engagé dans la conclusion d’un accord qu’il n’en donne l’impression. L’équanimité avec laquelle il répète que «si ça marche, tant mieux; sinon, tant pis» ne lui permet pas d’entraîner l’opinion publique derrière la politique gouverneme­ntale. Le «huis clos» du Conseil fédéral le 27 juin prochain offrira l’occasion de lui rappeler qu’il doit y mettre moins de désinvoltu­re.

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