Un «évêque de Rome» en terres protestantes
Sur quelle échelle temporelle faut-il inscrire la visite qu’effectuera jeudi le pape François à Genève, en pleine Rome protestante? Doit-on la rapporter à la question de l’unité des chrétiens, et à cette injonction biblique qui leur demande «Aimez-vous les uns les autres»? Faut-il s’arrêter au demi-siècle qui nous sépare du concile Vatican II, et de la révolution des esprits qui s’est accomplie depuis lors en termes de progression de l’oecuménisme? Ou peut-on s’en tenir au seul parcours de François, cet «évêque de Rome» qui, d’entrée de jeu, n’a pas insisté plus que ça sur son titre de pape, afin de ne pas froisser les membres (et les chefs) des autres Eglises concurrentes?
Toute visite papale est forcément politique. Et c’est aussi à la lumière d’un rapport de force qu’il faut voir celle-ci. Le Conseil oecuménique des Eglises (COE), qui est à l’origine de la venue du pape François à Genève? L’institution regroupe quelque 350 Eglises chrétiennes, en majorité protestantes, mais aussi anglicanes et orthodoxes. L’Eglise catholique romaine n’en fait pas partie, et pour cause: au-delà des controverses théologiques – au demeurant de moins en moins audibles pour le commun des mortels – la place des catholiques a toujours été plus forte à l’extérieur que diluée au sein de cette fédération. Une adhésion du Vatican au COE n’est pas à l’ordre du jour. Ce serait davantage qu’une surprise: une révolution copernicienne.
En attendant, reste cependant la voie d’un plus grand rapprochement qui, plus que jamais, est aujourd’hui dans l’intérêt des deux parties. Car si le XXIe siècle est bien celui du regain du spirituel, ce regain se déroule pour l’essentiel ailleurs qu’au sein des Eglises officielles qu’incarnent tout autant, à leur manière, le COE et le Vatican. Le pape argentin le sait bien: dans l’ensemble de l’Amérique latine, mais aussi en Afrique ou en Asie, ce sont les évangéliques qui ont le vent en poupe, tandis que, en Europe, les églises n’en finissent plus de se vider. Devant ce défi existentiel, les querelles entre Eglises établies n’en prennent que davantage l’allure de vieilles chamailleries d’un autre temps. Dans une optique de simple efficacité, catholiques, protestants et, dans une mesure moindre, orthodoxes ont tout intérêt à faire front commun, au moins sur l’essentiel.
Dans cette perspective, la visite papale à Genève est déjà une réussite. Ouverture, tolérance, appels à l’unité et bain de foule garanti: François affirme sa popularité, son dynamisme et sa modernité en même temps qu’il reconnaît aussi une place essentielle aux autres confessions chrétiennes «officielles». Un succès d’autant plus nécessaire pour lui que, par ces temps de repli identitaire général, une frange des Eglises chrétiennes ne l’entend pas de cette oreille et se drape notamment dans la défense des chrétiens d’Orient afin de mieux faire progresser son agenda ultranationaliste et anti-musulman. A Genève, c’est aux côtés des Eglises protestantes, et non face à elles, que François entend ainsi affirmer sa centralité.
Pour les Eglises chrétiennes, l’unité apparaît plus nécessaire que jamais