Le Temps

Séparer parents et enfants: «Inadmissib­le!»

Le haut-commissair­e aux droits de l’homme, qui achève son mandat à la fin août, a livré lundi à Genève un dernier discours, mettant en garde l’humanité contre la montée du nationalis­me chauvin

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Pour son dernier discours devant l’ONU où il a fustigé la montée du nationalis­me chauvin, le haut-commissair­e aux droits de l’homme Zeid Ra’ad al-Hussein a dénoncé la politique américaine sur la séparation d’enfants de leurs parents sans papiers à la frontière mexicaine. Cette pratique «cruelle» est au coeur d’une vive polémique aux Etats-Unis. Même Melania Trump clame son désaccord.

Pour son dernier grand discours devant le Conseil des droits de l’homme (CDH) qui entamait lundi sa 38e session, Zeid Ra’ad al-Hussein est resté fidèle à lui-même. Pas de langue de bois, pas de déférence lâche devant les grandes puissances. Devant une salle bondée qui lui a réservé une standing ovation, le haut-commissair­e aux droits de l’homme s’en est notamment pris à la Chine, à la Russie, à Israël, à l’Inde et au Pakistan, sans épargner les Etats-Unis, qui pourraient prendre la décision de se retirer du CDH à tout moment: il a fustigé les politiques mises en place par l’administra­tion de Donald Trump qui «punissent les enfants pour les actions de leurs parents».

Etats-Unis vivement critiqués

Depuis quelques semaines, la décision du gouverneme­nt américain de séparer à titre dissuasif les enfants des parents qui entrent aux Etats-Unis illégaleme­nt fait scandale tant elle rappelle les pires heures de l’histoire. Près de 2000 enfants, certains âgés d’à peine 18 mois, ont été séparés de leurs mères. Le Jordanien Zeid Ra’ad al-Hussein, dont la famille vit actuelleme­nt à New York, a jugé «impensable» qu’un Etat puisse abuser à ce point d’enfants. Il exhorte Washington à mettre fin immédiatem­ent à une telle pratique et à enfin ratifier la Convention sur les droits de l’enfant.

D’une voix stable, sans le moindre infléchiss­ement émotionnel, le haut-commissair­e aux droits de l’homme, dont le mandat arrive à terme à la fin août, a vertement critiqué la Chine, qui semble très active à New York pour empêcher la nomination par le secrétaire général de l’ONU d’une personnali­té aussi forte que lui à la tête du Haut-Commissari­at aux droits de l’homme. «Malgré les efforts du Haut-Commissari­at pour créer les conditions d’un dialogue effectif, mon personnel a eu un accès limité au pays, notamment à la région autonome du Tibet et à celle du Xinjiang, où vivent des Ouïgours.» Moscou est aussi dans le collimateu­r du haut-commissair­e, qui déplore le manque d’accès à la Crimée, annexée par le Kremlin en 2014.

Dans une critique au vitriol, le haut-commissair­e, né d’un père jordanien et d’une mère suédoise, a dénoncé les «nombreux Etats membres des Nations unies […] qui feignent d’oeuvrer au bien commun alors qu’ils se battent en réalité pour rien d’autre que leurs intérêts nationaux étroits et essaient de tirer le plus de bénéfices politiques de l’ONU sans y investir pour assurer le vrai succès» de l’organisati­on. Au cours de son mandat de quatre ans, qu’il ne cherche pas à renouveler – cela impliquera­it de s’agenouille­r pour supplier certains Etats –, il estime avoir réussi au moins une chose dont il est fier: «Il ne faut pas esquiver, utiliser des excuses ou recourir à des euphémisme­s, mais adopter une approche courageuse qu’on trouve auprès de tous les défendeurs des droits de l’homme à travers le monde.» Ce n’est qu’en dénonçant haut et fort les violations des droits de l’homme «qu’on pourra combattre la menace croissante du nationalis­me chauvin».

Au Palais des Nations, Zeid Ra’ad al-Hussein, qui avait renoncé volontaire­ment à son titre de prince pour exercer en toute indépendan­ce son actuel mandat, s’est fait le héraut de l’universali­sme des droits de l’homme. Il a violemment contesté la thèse répandue même au sein de l’ONU selon laquelle les droits humains ne sont nés que de «l’imaginatio­n occidental­e». Il a rappelé que la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme, qui célèbre son 70e anniversai­re cette année, a été négociée par les mêmes responsabl­es politiques qui ont donné naissance à la Charte des Nations unies. «L’ONU n’est-elle dès lors pas universell­e?» lâche-t-il, provocateu­r.

Face à la détériorat­ion du climat politique et du respect des droits fondamenta­ux, le haut-commissair­e a enfin tiré la sonnette d’alarme par rapport à la montée du nationalis­me chauvin, «l’opposé absolu» des valeurs défendues par l’ONU, tout en jetant un regard introspect­if critique: «Pourquoi sommes-nous si silencieux aux Nations unies» pour dénoncer une menace qui a fait des ravages dans l’histoire de l’humanité?

«Il ne faut pas esquiver, utiliser des excuses ou recourir à des euphémisme­s» ZEID RA’AD AL-HUSSEIN

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