Séparer parents et enfants: «Inadmissible!»
Le haut-commissaire aux droits de l’homme, qui achève son mandat à la fin août, a livré lundi à Genève un dernier discours, mettant en garde l’humanité contre la montée du nationalisme chauvin
Pour son dernier discours devant l’ONU où il a fustigé la montée du nationalisme chauvin, le haut-commissaire aux droits de l’homme Zeid Ra’ad al-Hussein a dénoncé la politique américaine sur la séparation d’enfants de leurs parents sans papiers à la frontière mexicaine. Cette pratique «cruelle» est au coeur d’une vive polémique aux Etats-Unis. Même Melania Trump clame son désaccord.
Pour son dernier grand discours devant le Conseil des droits de l’homme (CDH) qui entamait lundi sa 38e session, Zeid Ra’ad al-Hussein est resté fidèle à lui-même. Pas de langue de bois, pas de déférence lâche devant les grandes puissances. Devant une salle bondée qui lui a réservé une standing ovation, le haut-commissaire aux droits de l’homme s’en est notamment pris à la Chine, à la Russie, à Israël, à l’Inde et au Pakistan, sans épargner les Etats-Unis, qui pourraient prendre la décision de se retirer du CDH à tout moment: il a fustigé les politiques mises en place par l’administration de Donald Trump qui «punissent les enfants pour les actions de leurs parents».
Etats-Unis vivement critiqués
Depuis quelques semaines, la décision du gouvernement américain de séparer à titre dissuasif les enfants des parents qui entrent aux Etats-Unis illégalement fait scandale tant elle rappelle les pires heures de l’histoire. Près de 2000 enfants, certains âgés d’à peine 18 mois, ont été séparés de leurs mères. Le Jordanien Zeid Ra’ad al-Hussein, dont la famille vit actuellement à New York, a jugé «impensable» qu’un Etat puisse abuser à ce point d’enfants. Il exhorte Washington à mettre fin immédiatement à une telle pratique et à enfin ratifier la Convention sur les droits de l’enfant.
D’une voix stable, sans le moindre infléchissement émotionnel, le haut-commissaire aux droits de l’homme, dont le mandat arrive à terme à la fin août, a vertement critiqué la Chine, qui semble très active à New York pour empêcher la nomination par le secrétaire général de l’ONU d’une personnalité aussi forte que lui à la tête du Haut-Commissariat aux droits de l’homme. «Malgré les efforts du Haut-Commissariat pour créer les conditions d’un dialogue effectif, mon personnel a eu un accès limité au pays, notamment à la région autonome du Tibet et à celle du Xinjiang, où vivent des Ouïgours.» Moscou est aussi dans le collimateur du haut-commissaire, qui déplore le manque d’accès à la Crimée, annexée par le Kremlin en 2014.
Dans une critique au vitriol, le haut-commissaire, né d’un père jordanien et d’une mère suédoise, a dénoncé les «nombreux Etats membres des Nations unies […] qui feignent d’oeuvrer au bien commun alors qu’ils se battent en réalité pour rien d’autre que leurs intérêts nationaux étroits et essaient de tirer le plus de bénéfices politiques de l’ONU sans y investir pour assurer le vrai succès» de l’organisation. Au cours de son mandat de quatre ans, qu’il ne cherche pas à renouveler – cela impliquerait de s’agenouiller pour supplier certains Etats –, il estime avoir réussi au moins une chose dont il est fier: «Il ne faut pas esquiver, utiliser des excuses ou recourir à des euphémismes, mais adopter une approche courageuse qu’on trouve auprès de tous les défendeurs des droits de l’homme à travers le monde.» Ce n’est qu’en dénonçant haut et fort les violations des droits de l’homme «qu’on pourra combattre la menace croissante du nationalisme chauvin».
Au Palais des Nations, Zeid Ra’ad al-Hussein, qui avait renoncé volontairement à son titre de prince pour exercer en toute indépendance son actuel mandat, s’est fait le héraut de l’universalisme des droits de l’homme. Il a violemment contesté la thèse répandue même au sein de l’ONU selon laquelle les droits humains ne sont nés que de «l’imagination occidentale». Il a rappelé que la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui célèbre son 70e anniversaire cette année, a été négociée par les mêmes responsables politiques qui ont donné naissance à la Charte des Nations unies. «L’ONU n’est-elle dès lors pas universelle?» lâche-t-il, provocateur.
Face à la détérioration du climat politique et du respect des droits fondamentaux, le haut-commissaire a enfin tiré la sonnette d’alarme par rapport à la montée du nationalisme chauvin, «l’opposé absolu» des valeurs défendues par l’ONU, tout en jetant un regard introspectif critique: «Pourquoi sommes-nous si silencieux aux Nations unies» pour dénoncer une menace qui a fait des ravages dans l’histoire de l’humanité?
«Il ne faut pas esquiver, utiliser des excuses ou recourir à des euphémismes» ZEID RA’AD AL-HUSSEIN