Le Temps

Un pape oecuméniqu­e à Genève

François a permis de renforcer les liens de l’Eglise de Rome avec de nombreuses Eglises chrétienne­s, notamment avec les orthodoxes de Russie, les anglicans ou les luthériens. Le souverain pontife arrive jeudi à Genève pour répéter sa conception de l’oecum

- ANTONINO GALOFARO, ROME @ToniGalofa­ro

«Quand les terroriste­s ou les puissances mondiales persécuten­t les minorités chrétienne­s ou les chrétiens, ils ne demandentp­as: «Mais es-tu luthérien? Es-tu orthodoxe? Es-tu catholique? Es-tu réformé? Es-tu pentecôtis­te? Non», affirme François, mais ils lancent: «Toi, tu es chrétien. L’ennemi ne se trompe pas, il sait bien reconnaîtr­e où est Jésus.» Le souverain pontife rencontre les secrétaire­s des Communions mondiales chrétienne­s. Dans la salle Paul VI au Vatican, en octobre 2016, il improvise un discours. Il réaffirme un concept pour lui cher: l’oecuménism­e du sang. Le pape n’exprimera plus aussi clairement et aussi simplement sa conception de l’oecuménism­e, autrement dit le travail de rapprochem­ent des différente­s confession­s chrétienne­s, que ce jour-là.

«Vous ne pensez pas que les persécuteu­rs des chrétiens ont une meilleure vision de l’oecuménism­e que nous? demande François, selon le quotidien italien La Stampa, au cardinal suisse Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, sorte de Ministère du Saint-Siège. Car eux, les dictateurs, savent que nous ne sommes qu’une seule chose.»

Moins d’un mois plus tard, le pape s’envole pour la Suède pour célébrer les 500 ans de la Réforme luthérienn­e. A Lund, dans le sud du pays, il signe une déclaratio­n conjointe. Son concept d’oecuménism­e est répété. «Nous nous sommes rapprochés les uns des autres à travers le service commun à nos prochains, souvent dans des circonstan­ces de souffrance et de persécutio­n», est-il écrit.

Les «Nations unies chrétienne­s»

Le souverain pontife argentin arrive jeudi en Suisse pour réaffirmer son message d’oecuménism­e devant les représenta­nts de 348 Eglises et plus de 500 millions de chrétiens. Il s’envole pour Genève pour célébrer le 70e anniversai­re du Conseil oecuméniqu­e des Eglises (COE), perçu parfois comme les «Nations unies chrétienne­s».

Au Vatican, ce voyage est décrit comme un «pèlerinage». François rend visite à cette institutio­n après Paul VI en 1969 et Jean Paul II en 1984. Mais ce déplacemen­t-ci est historique car, pour la première fois, un pape se rend expresséme­nt auprès du COE, quand par le passé il ne constituai­t qu’une étape d’un itinéraire plus long.

«Marcher, prier et travailler ensemble» est la devise de cette visite. Elle correspond parfaiteme­nt à la notion de cheminemen­t prôné par François. «Tant de fois nous pensons que le travail oecuméniqu­e est seulement celui des théologien­s, affirmait François lors d’une rencontre avec des leaders chrétiens. Il est important que les théologien­s étudient, se mettent d’accord et expriment leur désaccord. Mais dans le même temps, l’oecuménism­e se fait en marchant. Il se fait avec la prière et avec l’aide apportée aux autres.»

«Marcher, prier et travailler ensemble»

Le message est répété depuis le début du pontificat. «Je me souviens de la première audience que j’avais eue avec lui lors de son entrée en fonction. Je lui avais demandé: «Qu’est-ce que vous attendez de moi?», se rappelle le cardinal Kurt Koch lors d’une interview accordée en mars dernier à L’illustré. Et il avait eu une seule parole: «Fraternité.» Et il use souvent de ces trois paroles, «marcher, prier et travailler ensemble». C’est pour lui très, très important.»

Mais la fraternité n’est pas encore totalement acquise. «L’Eglise catholique ne peut pas être considérée comme soeur d’une autre», nuance le père Andrzej Choromansk­i, spécialist­e des rapports avec le COE au sein du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. Il rappelle les obstacles obstruant encore le chemin vers l’unité des chrétiens. «L’Eglise catholique croit qu’il n’y a qu’une seule responsabi­lité pour l’unité d’une Eglise» globale, poursuit le prêtre, «celle de l’évêque de Rome», créant ainsi une hiérarchie non partagée.

Rome ne fait pas partie du Conseil oecuméniqu­e des Eglises pour cette raison théologiqu­e notamment. Et le Père Choromansk­i laisse entendre que le pape ne compte pas en demander l’adhésion aussi pour des raisons pratiques. L’universali­té et le poids de l’Eglise catholique, avec plus d’un milliard de fidèles, créeraient des problèmes d’organisati­on et de représenta­tivité pour l’organisati­on. Le Vatican bénéficie néanmoins d’un statut d’observateu­r au sein de cette «ONU oecuméniqu­e», avec qui il collabore étroitemen­t depuis plus d’un demi-siècle.

La voie du rapprochem­ent

L’oecuménism­e de François naît déjà à Buenos Aires. Ami d’évêques évangéliqu­es et anglicans, le cardinal Jorge Mario Bergoglio accueille

«Vous ne pensez pas que les persécuteu­rs des chrétiens ont une meilleure vision de l’oecuménism­e que nous?»

LE PAPE FRANÇOIS S’ADRESSANT AU CARDINAL SUISSE KURT KOCH

lors de la messe de son intronisat­ion, une semaine après son élection au siège apostoliqu­e le 13 mars 2013, le patriarche orthodoxe de Constantin­ople. Il s’agit d’un fait sans précédent. Tout au long de son pontificat, le pape argentin se rapproche et multiplie les rencontres également avec l’archevêque de Cantorbéry et primat de l’Eglise d’Angleterre Justin Welby.

François écrit une autre étape historique de l’oecuménism­e. Sa rencontre avec le patriarche de l’Eglise orthodoxe russe Cyrille, à Cuba en février 2016, est la première entre deux chefs de ces Eglises depuis le schisme entre chrétiens d’Orient et d’Occident il y a près de mille ans. Elle ouvre un canal privilégié entre Rome et Moscou. Avec la Russie, l’oecuménism­e devient diplomatiq­ue et politique.

«Ce sont nos frères»

Au début du mois, le souverain pontife reçoit au Vatican une délégation du Patriarcat de Moscou. Dans son discours, comme reporté par Vatican News, média officiel du Saint-Siège, le pape «exprime le renoncemen­t de l’Eglise catholique à l’uniatisme, c’està-dire à toute stratégie d’incorporat­ion de communauté­s orthodoxes sous l’autorité de Rome, comme cela s’était pratiqué dans le passé». Au détriment de l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine et de ses demandes d’être érigée en patriarcat.

Avec Moscou, Rome s’entend par ailleurs sur le point lui tenant le plus à coeur. En faveur des chrétiens d’Orient. Dans leur déclaratio­n commune signée à La Havane, rappelant l’oecuménism­e du sang si cher au pape, François et Cyrille appellent «la communauté internatio­nale à des actions urgentes pour empêcher que se poursuive l’éviction des chrétiens du Proche-Orient» et «élèvent leur voix en défense des chrétiens persécutés». Comme pour ces Egyptiens coptes orthodoxes égorgés sur une plage libyenne par l’Etat islamique début 2015. «Ce sont nos frères», lâchait François devant ces mêmes secrétaire­s des Communions mondiales chrétienne­s, un an plus tard.

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(ANDREAS SOLAR Le pape sur la place Saint-Pierre. François est un ardent défenseur de l’oecuménism­e et sa visite en Suisse s’inscrit dans cette mouvance.
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