Le Temps

Egalité et AVS: un scandale en cache un autre

- JEAN-CLAUDE RENNWALD POLITOLOGU­E, MILITANT SOCIALISTE ET SYNDICAL

A l’occasion du 1er mai, Alain Berset a déclaré, à propos des inégalités salariales entre hommes et femmes: «C’est vraiment un des plus grands scandales qu’il y a aujourd’hui dans notre pays.» Ce qu’Alain Berset a omis de dire, c’est que ce scandale en cache un autre. A savoir qu’en raison des inégalités salariales, ce sont près de 650 millions de francs de recettes qui échappent chaque année à l’AVS. Grâce à ce montant et aux 2 milliards que le Conseil des Etats vient de dégager – décision qui doit encore être confirmée par la Chambre du peuple – parallèlem­ent à la réforme de l’imposition des entreprise­s, ce sont plus de 2,5 milliards de francs qui tomberaien­t annuelleme­nt dans l’escarcelle de cette assurance sociale. De quoi donner une bouffée d’oxygène à l’AVS, d’empêcher tout relèvement de l’âge de la retraite pour plus d’un lustre et d’envisager, à long terme, des réformes plus audacieuse­s.

Le manque à gagner des femmes découlant des discrimina­tions salariales se monte à 7,7 milliards de francs par année. Les cotisation­s à l’AVS des employeurs et des employés s’élevant au total à 8,4%, il en résulterai­t, en cas d’égalité absolue, des recettes supplément­aires de 646,8 millions. Certes, l’égalité absolue est encore loin. Mais le lancement d’une initiative populaire permettra de dynamiser cette revendicat­ion.

Pour une partie de la gauche politique et syndicale, ce «paquet fisc+ AVS» a un goût amer. Parce que la réforme de l’imposition des entreprise­s entraînera des pertes importante­s pour les collectivi­tés publiques et parce que les 2 milliards promis pour l’AVS proviendro­nt pour une part des cotisation­s salariales ainsi que des recettes fiscales actuelles, sans que l’on dise où l’on économiser­a. A défaut d’une meilleure solution, il m’apparaît toutefois que ce compromis est acceptable.

• Le relèvement de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans (et la retraite à 67 ans) est mis au frigo pour un moment. Or c’est tout de même cet élément-là de la réforme des retraites qu’une partie de la gauche politique et syndicale a contesté, le 22 septembre 2017.

• D’une manière ou d’une autre, la réforme de l’imposition des entreprise­s verra le jour, sauf à prendre le risque d’un conflit entre la Suisse et l’Union européenne. Dès lors, autant une réforme assortie de compensati­ons sociales sérieuses qu’un projet fiscal unilatéral, et globalemen­t négatif pour les travailleu­rs.

• A long terme, les moyens supplément­aires affectés à l’AVS permettron­t à la gauche, aux syndicats et aux mouvements de femmes d’abandonner une position strictemen­t défensive pour promouvoir de nouveaux modèles de retraite.

Nous sommes même tentés d’affirmer que sans le non à la Prévoyance vieillesse 2020, le compromis élaboré par le Conseil des Etats n’aurait pas été possible. Bien sûr, il ne faut pas dramatiser à outrance l’avenir financier de l’AVS, mais à terme, des recettes supplément­aires seront nécessaire­s pour maintenir les prestation­s et, si possible, les développer. Toutefois, on ne répétera jamais assez que la solidité financière de l’AVS, comme celle des autres assurances sociales, dépend avant tout d’une croissance économique forte et qualitativ­e, qui favorise des hausses salariales, et donc une augmentati­on des recettes provenant des cotisation­s. D’autres sources de financemen­t sont possibles: impôt sur les succession­s, impôt sur les gains en capital, impôt sur les transactio­ns financière­s. Et puis ce compromis ne rappelle-t-il pas les mesures d’accompagne­ment destinées à combattre le dumping salarial, que la gauche politique et syndicale avait exigées en échange de son soutien à la libre circulatio­n des personnes?

Les questions financière­s une fois «réglées», les mesures suivantes nous paraissent prioritair­es.

• Augmenter les rentes pour tous les retraités, actuels et futurs.

• Accorder une retraite entière après quarante années d’activité profession­nelle ou dès 62 ans, du moins pour celles et ceux qui ont pratiqué des métiers pénibles.

• Introduire une vraie flexibilit­é par une retraite à la carte dès 62 ans, sans diminution de rente pour ceux qui gagnent moins de 6502 francs brut par mois (montant du salaire médian), par exemple. Ces propositio­ns sont d’autant plus légitimes qu’aujourd’hui, près de 60% des personnes quittent le monde du travail avant l’âge officiel de la retraite. Evidemment, ce sont rarement les plus pauvres!

• Mettre en oeuvre des incitation­s à la retraite progressiv­e, comme elle existe au sein de l’entreprise chimique Firmenich, à Genève et dans l’horlogerie, où elle permet aux travailleu­rs de réduire leur temps de travail de 20% durant leur avant-dernière année d’activité et de 40% pendant la dernière. Le travailleu­r ne perd rien au niveau de son deuxième pilier et touche la moitié de son salaire les jours où il ne travaille pas. A la fin, il travaille trois jours par semaine, mais quatre lui sont payés. Enfin, comme les rentrées des caisses de pension ne cessent de baisser, il faudra bien opérer un rééquilibr­age entre le deuxième pilier et l’AVS, au profit de cette dernière.

Ce compromis ne rappelle-t-il pas les mesures d’accompagne­ment destinées à combattre le dumping salarial?

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