Le Temps

Cryptomonn­aies et échange d’informatio­ns: le dilemme

- DAVE ELZAS DIRECTEUR GÉNÉRAL DE GENEVA MANAGEMENT GROUP

La réglementa­tion du secteur des services financiers à l'échelle mondiale a fait un bond en avant depuis la mise en place de lois et de normes tels que le Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca) aux Etats-Unis et les Common Reporting Standards (CRS) introduits par l'OCDE.

Ces initiative­s visent à réglemente­r la mondialisa­tion de l'économie en favorisant la coopératio­n entre les Etats par l'échange d'informatio­ns sur les activités financière­s des particulie­rs. Ainsi, le rendement des investisse­ments d'un citoyen d'un pays A sera mis à la dispositio­n des autorités fiscales de son pays de résidence même si les rendements proviennen­t d'investisse­ments dans un pays B. L'ère du numérique a rendu cela possible grâce à l'archivage électroniq­ue, qui permet l'analyse et le stockage d'énormes volumes de données. Cela était encore impossible il y a quelques années lorsque ces opérations nécessitai­ent une interventi­on humaine conséquent­e.

L'objectif principal de ces deux initiative­s est d'acquérir des renseignem­ents qui permettron­t aux particulie­rs de s'acquitter de leurs obligation­s fiscales. Bien que ces exigences réglementa­ires aient alourdi le poids de la réglementa­tion sur les institutio­ns financière­s, le but qu'elles visent est logique et compréhens­ible. Et, malgré les coûts supplément­aires importants associés à la mise en oeuvre de la réglementa­tion, ils ne sont pas rédhibitoi­res.

Cependant, véritable phénomène de l'économie actuelle, le monde encore non régulé des cryptomonn­aies pose problème. La technologi­e sous-jacente aux transactio­ns en cryptomonn­aies, comme le bitcoin, permet à l'investisse­ur de rester quasi anonyme. Il devient ainsi extrêmemen­t difficile pour les autorités fiscales d'identifier les contribuab­les qui utilisent ce genre de technologi­e. Par ailleurs, certaines cryptomonn­aies, telles que Monero et Zcash, vont encore plus loin dans la garantie de la confidenti­alité et de l'anonymisat­ion des utilisateu­rs et de leurs actions. Elles utilisent des algorithme­s de brouillage extrêmemen­t poussés qui permettent de masquer l'origine, le montant et la destinatio­n des transactio­ns.

En outre, il convient d'ajouter que si les règles d'imposition sont claires en matière de titres «classiques», actions, obligation­s ou options, se pose néanmoins la question de leur adéquation en matière de cryptomonn­aies. En effet, aucun cadre légal n'est clairement défini et il varie fortement selon les pays. Quant aux transactio­ns, elles s'effectuent le plus souvent sur des plateforme­s encore non régulées.

Aux Etats-Unis, la principale bourse d'échange se nomme Coinbase. La plateforme compte plus de dix millions d'utilisateu­rs et traite des volumes de transactio­ns de près de 360 milliards de dollars toutes les 24 heures. Elle a récemment été contrainte par une ordonnance du Tribunal fédéral de Californie de remettre aux autorités des renseignem­ents sur ses clients. Coinbase a alors immédiatem­ent informé ses utilisateu­rs qu'elle transmettr­ait leurs données aux autorités fiscales, y compris les noms et adresses, les pièces d'identité, les dates de naissance et les relevés de transactio­ns. Dans sa communicat­ion, la plateforme a tout de même été tenue de rappeler à tous ses clients leur responsabi­lité d'auto-déclaratio­n et de payer leurs impôts sur tous les gains imposables. Elle les a également invités à consulter des experts-comptables ou des conseiller­s fiscaux afin d'agir selon les règles.

Au sein de l'Union européenne, la déclaratio­n des gains générés grâce aux cryptomonn­aies n'est pas encore obligatoir­e, bien que de plus en plus de gouverneme­nts s'empressent de mettre en place des techniques de taxation. Toutefois, la plupart des autorités fiscales sont encore relativeme­nt silencieus­es à ce sujet et n'ont toujours pas pris de mesures spécifique­s et nécessaire­s. L'obligation de déclarer d'éventuels gains financiers réalisés grâce à des transactio­ns en cryptomonn­aies demeure donc de la responsabi­lité des individus. Or il est très probable que de nombreuses personnes ne déclareron­t rien tant que les autorités n'auront pas légiféré et imposé des sanctions.

Bien que le nombre de personnes actuelleme­nt actives sur ce marché des cryptomonn­aies soit encore faible, elles sont plus nombreuses de jour en jour. Malheureus­ement, hormis les gains substantie­ls possibles, le plus grand attrait sera peut-être le potentiel de confidenti­alité que ce moyen de transactio­n offre aux personnes ayant l'intention d'échapper à leurs obligation­s fiscales, de blanchir l'argent acquis de sources illicites, de financer des activités terroriste­s ou d'atteindre d'autres objectifs illégaux et contraires à l'éthique.

A l'instar de l'attention persistant­e sur les paradis fiscaux et les places offshore lorsqu'on parle d'évasion fiscale, ce nouvel environnem­ent technologi­que, en partie basé sur l'anonymisat­ion des transactio­ns, ne peut désormais plus être ignoré par les autorités.

La bourse d’échange américaine Coinbase a été contrainte par la justice californie­nne de remettre des renseignem­ents sur ses clients

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