Le Temps

Maude Paley, programmat­rice du RKC: rencontre avec une oreille de pointe

La Veveysanne est chargée de la programmat­ion du Rocking Chair, mais aussi de la Nox Orae, merveilleu­x festival de fin d’été

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

«Même si nous devons faire appel aux mêmes compétence­s que celles requises pour le théâtre ou le classique, nous ne sommes pas autant subvention­nés»

Lorsqu’elle nous rejoint sur la terrasse de ce grand hôtel veveysan où un bataillon de moineaux est à l’affût des moindres chips ou cacahuètes laissés sans surveillan­ce, elle a encore la tête dans les préparatif­s de la fin de l’année scolaire. Maude Paley enseigne deux jours par semaine dans des classes de 1re et 2e année, celles qu’on appelait autrefois les classes enfantines, et il lui faut quelques minutes avant de se reconnecte­r en mode rock. Car si on a rendez-vous avec elle, ce n’est pas pour parler éducation ou initiation à la lecture. On est là pour évoquer sa double casquette de programmat­rice du Rocking Chair (RKC) – un club qui a fêté l’automne dernier ses 25 ans – et du festival Nox Orae, qui à chaque fin d’été investit deux jours durant le magnifique jardin Roussy, à La Tour-de-Peilz.

Ces deux dernières années, Maude Paley a réussi, avec son coprogramm­ateur Joël Bovy, deux jolis coups: la venue de The Brian Jonestown Massacre puis celle de The Jesus and Mary Chain ont permis à la Nox Orae d’écouler les 1500 billets mis en vente pour chaque soirée. Après six éditions où la viabilité de la manifestat­ion avait constammen­t été sur le fil, des bénéfices ont enfin pu être provisionn­és. Les 31 août et 1er septembre prochains, la neuvième édition du festival accueiller­a notamment le Californie­n Ariel Pink, tenant d’une pop psychédéli­que joliment déglinguée, et les Allemands de faUST, vétérans du krautrock en activité depuis 1971. «Le pari est risqué, avoue la Vaudoise. Comme on n’a pas eu tous les groupes qu’on voulait, on a décidé, pour plus de diversité, de passer de quatre à cinq concerts par soir. On aura notamment des groupes japonais, brésilien et irlandais.» Pour rester dans les chiffres noirs, la Nox Orae – pour «la nuit du rivage, en latin pas très scientifiq­ue», sourit Maude Paley – doit attirer un minimum de 2200 personnes sur le week-end. Au-delà de la propositio­n artistique, son cadre idyllique sur les rives du Léman de même que sa dimension humaine et conviviale sont de sacrés atouts. Qui est venu une fois à la Nox a forcément envie d’y retourner. Les artistes aussi, qui ont droit à une virée en bateau agrémentée d’un apéro.

Retour à l’université

C’est à la fin des années 1990, après avoir fréquenté ces lieux emblématiq­ues de la vie alternativ­e veveysanne qu’étaient Les Temps Modernes et Le Toit du Monde, que Maude Paley se retrouve embarquée dans une aventure qui la mènera à faire de la programmat­ion son second métier. Alors qu’elle démarre tout juste sa carrière d’enseignant­e, diplôme de l’Ecole normale en poche, un ami qui cherche un endroit pour fêter ses 30 ans lui propose de rejoindre une petite

task force de passionnés désireux de relancer un espace culturel. En 2001, ils inaugurent l’Espace Guingette, qui propose, dans une petite usine désaffecté­e, de la musique, du théâtre et des spectacles pour enfants. Deux ans plus tard, la Veveysanne décide, tout en continuant d’enseigner à temps partiel, de se lancer dans des études universita­ires – histoire de l’art, journalism­e et communicat­ion, histoire et esthétique du cinéma en branche principale.

A l’Espace Guingette, elle met en pratique la théorie et devient responsabl­e de la communicat­ion, son premier poste salarié dans la culture. Dans la foulée, elle prend en charge l’administra­tion, en remplaceme­nt de Marie Neumann, engagée à la ville de Vevey, dont elle dirige aujourd’hui le service culturel. A sa grande surprise, Maude Paley se voit alors proposer en 2009 le poste de programmat­rice du RKC. «Moi qui n’avais organisé

Ne pas perdre son identité

Il y a deux ans disparaiss­ait le Pully For Noise, après vingt éditions en dents de scie. A l’opposé, la Kilbi organisée chaque printemps par le Bad Bonn, à Guin, s’est imposée comme un rendez-vous incontourn­able en matière de musiques actuelles, peu importe la météo, grâce à son positionne­ment artistique ultrapoint­u. Y a-t-il des leçons à tirer de ces deux modèles? «Réussir à attirer un grand nom, comme les Queens of the Stone Age à la Kilbi, permet de lancer la machine, estime Maude Paley. Mais il faut ensuite éviter de se focaliser sur les grosses têtes d’affiche, ne pas perdre son identité. Payer d’énormes cachets, sans forcément attirer plus de monde proportion­nellement, n’est pas un bon choix.»

De même que la Nox Orae (qui fonctionne grâce au bénévolat) est un festival de taille moyenne, le RKC (quatre salariés fixes) est un club du milieu, entre les caveaux intimistes et les grandes structures que sont Les Docks ou FriSon. D’où l’importance d’être à l’affût des groupes qui tournent et des talents en devenir afin de les attirer avant qu’ils ne visent les salles de plus de 1000 places. «Le plus dur, dans ce métier, c’est de trouver le bon équilibre permettant de ne pas perdre de l’argent. Car même si nous devons faire appel aux mêmes compétence­s que celles requises pour le théâtre ou le classique, nous ne sommes pas autant subvention­nés.»

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