Le Temps

Les Etats-Unis détricoten­t un peu plus l’ordre mondial

DROITS DE L’HOMME La décision des Etats-Unis de se retirer du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, bien qu’attendue, aura de sérieuses répercussi­ons sur l’organe onusien basé à Genève. Israël applaudit ce départ

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

GÉOPOLITIQ­UE La décision des Etats-Unis de claquer la porte du Conseil des droits de l’homme à Genève s’inscrit dans la continuité des dénonciati­ons précédente­s sur le climat et le nucléaire iranien. Le multilatér­alisme en sort affaibli, les liens avec Israël renforcés. La Chine pourrait endosser le leadership que semble vouloir abandonner Donald Trump

Le conseiller à la Sécurité nationale, John Bolton, n’avait jamais hésité à démolir le Conseil des droits de l’homme. Nikki Haley, ambassadri­ce américaine aux Nations unies, avait pointé son peu d’utilité. Le retrait américain était donc attendu. Il est désormais acté et s’inscrit dans la liste des dénonciati­ons du président américain, sur l’Accord de Paris sur le climat ou l’accord sur le nucléaire iranien.

Washington estime que le caractère anti-israélien du Conseil est devenu insupporta­ble et motive son retrait. A un moment où les droits humains sont attaqués de toutes parts, cette démission crée un vide abyssal en termes de leadership diplomatiq­ue dont la Chine pourrait profiter.

Les réactions ne se sont pas fait attendre. Même critiquabl­e, expliquent de nombreux acteurs issus de la société civile et des ONG, le CDH «joue un rôle vital en abordant les graves violations des droits fondamenta­ux dans le monde».

Directeur exécutif de l’ONG Human Rights Watch (HRW), Kenneth Roth est très sévère: «Le retrait de l’administra­tion Trump est un triste reflet de sa politique unidimensi­onnelle des droits de l’homme. Défendre les abus commis par Israël contre toute critique prime sur tout le reste.» Il ajoute: «Le président Trump a décidé que l’Amérique d’abord [«America First»] signifie ignorer, à l’ONU, les souffrance­s des civils en Syrie et des minorités ethniques en Birmanie.»

«Défendre les abus commis par Israël contre toute critique prime sur tout le reste» KENNETH ROTH, DIRECTEUR DE HUMAN RIGHTS WATCH

Les Etats-Unis refusent désormais d’occuper leur place au sein de l’institutio­n onusienne basée à Genève.

Les Etats-Unis claquent la porte du Conseil des droits de l’homme (CDH). Mardi, l’ambassadri­ce américaine auprès de l’ONU à New York Nikki Haley et le secrétaire d’Etat Mike Pompeo ont annoncé la décision de l’administra­tion Trump de quitter l’institutio­n onusienne basée à Genève, estimant qu’elle est trop focalisée sur Israël. «Le Conseil des droits de l’homme encourage les abuseurs» des droits humains, a estimé le chef de la diplomatie américaine qui considère que rester au CDH aurait été «contre les intérêts nationaux américains».

Après l’Unesco, c’est le second départ d’un organisme de l’ONU. Il s’ajoute aux retraits des accords plurilatér­aux sur le nucléaire iranien, sur le libre-échange (Partenaria­t transpacif­ique) et sur le climat (Paris).

Un virage à 180 degrés

«Les régimes les plus inhumains échappent à tout examen», a expliqué Nikki Haley depuis le Départemen­t d’Etat à Washington. Pour la diplomate, le CDH est non seulement «hypocrite, mais aussi un sujet de moquerie des droits humains». Elle a relevé qu’Israël a fait l’objet de cinq résolution­s ces derniers temps, «davantage que la Corée du Nord, l’Iran et la Syrie ensemble».

L’ambassadri­ce a dit avoir essayé pendant un an de pousser à une réforme du CDH, en vain. En 2017, venue parler au Conseil et à l’Institut de hautes études internatio­nales et du développem­ent, elle avait averti: sans réforme, Washington prendrait les décisions qui s’imposent. C’est désormais chose faite. Bien que l’administra­tion Trump soit elle-même fortement décriée pour sa politique menant à la séparation des enfants de leurs parents qui entrent illégaleme­nt sur sol américain, Nikki Haley a souligné que les «Etats-Unis avaient un bilan dont ils peuvent être fiers en matière de défense des droits de l’homme». Pour elle, même l’appel des Occidentau­x exhortant Washington à rester membre du CDH n’avait plus de sens.

C’est un coup dur pour le CDH, au sein duquel les Américains ont continué de jouer un rôle important même sous la présidence Trump. C’est aussi un virage à 180 degrés par rapport à l’administra­tion de Barack Obama qui avait d’emblée adhéré à l’organe onusien en 2009 et nommé une ambassadri­ce (Eileen Chamberlai­n Donahoe) spécialeme­nt dédiée aux droits humains après le boycott appliqué dès la création du CDH en 2006 par le gouverneme­nt de George W. Bush. Président du CDH, le Slovène Vojislav Suc regrette la décision américaine. Les Etats-Unis ont, selon lui, participé activement et de façon constructi­ve aux activités de l’institutio­n genevoise. Il le souligne: «A une époque où les valeurs et la force du multilatér­alisme et des droits de l’homme sont remises en question de façon quotidienn­e, il est essentiel de maintenir un Conseil fort, un élément central des Nations unies du XXIe siècle.» Le haut-commissair­e de l’ONU aux droits de l’homme Zeid Ra’ad al-Hussein, qui n’a jamais eu peur de critiquer même les grandes puissances, a lui aussi réagi: «Vu l’état des droits de l’homme dans le monde aujourd’hui, les EtatsUnis ne devraient pas se retirer, ils devraient s’engager davantage.»

Le biais anti-Israël

Dans une administra­tion au sein de laquelle le conseiller à la sécurité nationale John Bolton, adepte d’une ligue des nations vertueuses, n’a jamais hésité à démolir le Conseil des droits de l’homme, le retrait américain était attendu. Il l’était d’autant plus qu’au début mai Washington a présenté aux diplomates occidentau­x à la mission des EtatsUnis auprès de l’ONU à New York un projet de résolution visant à réformer le CDH. Il a reçu un accueil glacial.

Si les Occidentau­x peuvent se reconnaîtr­e dans plusieurs des propositio­ns de réforme du CDH comme l’abolition du point 7 à l’ordre du jour consacré exclusivem­ent aux territoire­s palestinie­ns occupés et à Israël ou la nécessité d’avoir davantage de compétitio­n entre Etats lors des élections des membres du CDH par l’Assemblée générale de l’ONU, ils jugent le moment mal choisi. Un tel projet de résolution aurait suscité de nombreuses propositio­ns d’amendement­s de différents pays qui auraient pu sérieuseme­nt affaiblir le CDH. C’était, entendait-on chez certains diplomates occidentau­x, une manière d’ouvrir la boîte de Pandore. Dix-sept ONG de défense des droits humains ne disaient pas le contraire dans une lettre dans laquelle ils mettaient en garde contre le risque de prise d’otage de la résolution par des Etats qui viseraient à affaiblir le CDH. Acculé, Washington n’avait plus vraiment le choix.

La décision américaine ne manque pas d’ironie. Washington estime que le caractère anti-israélien du Conseil est devenu insupporta­ble et motive son retrait. C’est la principale raison que les Etats-Unis invoquent pour quitter le Conseil. A un moment où les droits humains sont attaqués de toutes parts, cette démission crée un vide abyssal dont la Chine pourrait profiter. Elle a déjà présenté une résolution intitulée «Coopératio­n mutuelleme­nt bénéfique» qui remet en question l’universali­té des droits humains.

Une politique unidimensi­onnelle

Pour rappel, c’est en raison de la politique de la chaise vide pratiquée par Washington sous George W. Bush que le CDH avait réussi à voter en faveur d’un point à l’ordre

La MaisonBlan­che abandonne la possibilit­é d’influer sur de nombreux dossiers où les intérêts des EtatsUnis sont en jeu

du jour exclusivem­ent consacré à la question israélo-palestinie­nne. Israël sera par conséquent beaucoup moins bien défendu. De plus, la Maison-Blanche abandonne la possibilit­é d’influer sur de nombreux autres dossiers où les intérêts des Etats-Unis sont en jeu. Si la politique américaine tend à être surdétermi­née par la question d’Israël, la présidence Trump a fait de la défense inconditio­nnelle de l’Etat hébreu son principal cheval de bataille. Nikki Haley a toujours épargné Tel-Aviv, qualifiant de «honte» la résolution récemment adoptée par le CDH lors d’une session spéciale sur les événements de Gaza du 14 mai dernier.

Directeur exécutif de l’ONG Human Rights Watch (HRW), Kenneth Roth est très critique: «Le retrait de l’administra­tion Trump est un triste reflet de sa politique unidimensi­onnelle des droits de l’homme. Défendre les abus commis par Israël contre toute critique prime sur tout le reste. Le Conseil des droits de l’homme a pourtant joué un rôle important dans des pays comme la Corée du Nord, la Syrie, la Birmanie et le Soudan du Sud.» Kenneth Roth ajoute: «Le président Trump a décidé que l’Amérique d’abord [«America First»] signifie ignorer, à l’ONU, les souffrance­s des civils en Syrie et des minorités ethniques en Birmanie.» Le directeur de HRW reconnaît que le CDH a ses défauts, mais précise qu’il «joue un rôle vital en abordant les graves violations des droits fondamenta­ux dans le monde». En comparaiso­n, le Royaume-Uni, lui aussi très critique du point 7 de l’ordre du jour, a adopté une attitude différente. Son ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson, était à Genève lundi. Il l’a martelé: Londres reste membre du Conseil, mais votera systématiq­uement contre toute résolution découlant de ce point 7.

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(SALVATORE DI NOLFI/EPA)

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