Les Etats-Unis détricotent un peu plus l’ordre mondial
DROITS DE L’HOMME La décision des Etats-Unis de se retirer du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, bien qu’attendue, aura de sérieuses répercussions sur l’organe onusien basé à Genève. Israël applaudit ce départ
GÉOPOLITIQUE La décision des Etats-Unis de claquer la porte du Conseil des droits de l’homme à Genève s’inscrit dans la continuité des dénonciations précédentes sur le climat et le nucléaire iranien. Le multilatéralisme en sort affaibli, les liens avec Israël renforcés. La Chine pourrait endosser le leadership que semble vouloir abandonner Donald Trump
Le conseiller à la Sécurité nationale, John Bolton, n’avait jamais hésité à démolir le Conseil des droits de l’homme. Nikki Haley, ambassadrice américaine aux Nations unies, avait pointé son peu d’utilité. Le retrait américain était donc attendu. Il est désormais acté et s’inscrit dans la liste des dénonciations du président américain, sur l’Accord de Paris sur le climat ou l’accord sur le nucléaire iranien.
Washington estime que le caractère anti-israélien du Conseil est devenu insupportable et motive son retrait. A un moment où les droits humains sont attaqués de toutes parts, cette démission crée un vide abyssal en termes de leadership diplomatique dont la Chine pourrait profiter.
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Même critiquable, expliquent de nombreux acteurs issus de la société civile et des ONG, le CDH «joue un rôle vital en abordant les graves violations des droits fondamentaux dans le monde».
Directeur exécutif de l’ONG Human Rights Watch (HRW), Kenneth Roth est très sévère: «Le retrait de l’administration Trump est un triste reflet de sa politique unidimensionnelle des droits de l’homme. Défendre les abus commis par Israël contre toute critique prime sur tout le reste.» Il ajoute: «Le président Trump a décidé que l’Amérique d’abord [«America First»] signifie ignorer, à l’ONU, les souffrances des civils en Syrie et des minorités ethniques en Birmanie.»
«Défendre les abus commis par Israël contre toute critique prime sur tout le reste» KENNETH ROTH, DIRECTEUR DE HUMAN RIGHTS WATCH
Les Etats-Unis refusent désormais d’occuper leur place au sein de l’institution onusienne basée à Genève.
Les Etats-Unis claquent la porte du Conseil des droits de l’homme (CDH). Mardi, l’ambassadrice américaine auprès de l’ONU à New York Nikki Haley et le secrétaire d’Etat Mike Pompeo ont annoncé la décision de l’administration Trump de quitter l’institution onusienne basée à Genève, estimant qu’elle est trop focalisée sur Israël. «Le Conseil des droits de l’homme encourage les abuseurs» des droits humains, a estimé le chef de la diplomatie américaine qui considère que rester au CDH aurait été «contre les intérêts nationaux américains».
Après l’Unesco, c’est le second départ d’un organisme de l’ONU. Il s’ajoute aux retraits des accords plurilatéraux sur le nucléaire iranien, sur le libre-échange (Partenariat transpacifique) et sur le climat (Paris).
Un virage à 180 degrés
«Les régimes les plus inhumains échappent à tout examen», a expliqué Nikki Haley depuis le Département d’Etat à Washington. Pour la diplomate, le CDH est non seulement «hypocrite, mais aussi un sujet de moquerie des droits humains». Elle a relevé qu’Israël a fait l’objet de cinq résolutions ces derniers temps, «davantage que la Corée du Nord, l’Iran et la Syrie ensemble».
L’ambassadrice a dit avoir essayé pendant un an de pousser à une réforme du CDH, en vain. En 2017, venue parler au Conseil et à l’Institut de hautes études internationales et du développement, elle avait averti: sans réforme, Washington prendrait les décisions qui s’imposent. C’est désormais chose faite. Bien que l’administration Trump soit elle-même fortement décriée pour sa politique menant à la séparation des enfants de leurs parents qui entrent illégalement sur sol américain, Nikki Haley a souligné que les «Etats-Unis avaient un bilan dont ils peuvent être fiers en matière de défense des droits de l’homme». Pour elle, même l’appel des Occidentaux exhortant Washington à rester membre du CDH n’avait plus de sens.
C’est un coup dur pour le CDH, au sein duquel les Américains ont continué de jouer un rôle important même sous la présidence Trump. C’est aussi un virage à 180 degrés par rapport à l’administration de Barack Obama qui avait d’emblée adhéré à l’organe onusien en 2009 et nommé une ambassadrice (Eileen Chamberlain Donahoe) spécialement dédiée aux droits humains après le boycott appliqué dès la création du CDH en 2006 par le gouvernement de George W. Bush. Président du CDH, le Slovène Vojislav Suc regrette la décision américaine. Les Etats-Unis ont, selon lui, participé activement et de façon constructive aux activités de l’institution genevoise. Il le souligne: «A une époque où les valeurs et la force du multilatéralisme et des droits de l’homme sont remises en question de façon quotidienne, il est essentiel de maintenir un Conseil fort, un élément central des Nations unies du XXIe siècle.» Le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme Zeid Ra’ad al-Hussein, qui n’a jamais eu peur de critiquer même les grandes puissances, a lui aussi réagi: «Vu l’état des droits de l’homme dans le monde aujourd’hui, les EtatsUnis ne devraient pas se retirer, ils devraient s’engager davantage.»
Le biais anti-Israël
Dans une administration au sein de laquelle le conseiller à la sécurité nationale John Bolton, adepte d’une ligue des nations vertueuses, n’a jamais hésité à démolir le Conseil des droits de l’homme, le retrait américain était attendu. Il l’était d’autant plus qu’au début mai Washington a présenté aux diplomates occidentaux à la mission des EtatsUnis auprès de l’ONU à New York un projet de résolution visant à réformer le CDH. Il a reçu un accueil glacial.
Si les Occidentaux peuvent se reconnaître dans plusieurs des propositions de réforme du CDH comme l’abolition du point 7 à l’ordre du jour consacré exclusivement aux territoires palestiniens occupés et à Israël ou la nécessité d’avoir davantage de compétition entre Etats lors des élections des membres du CDH par l’Assemblée générale de l’ONU, ils jugent le moment mal choisi. Un tel projet de résolution aurait suscité de nombreuses propositions d’amendements de différents pays qui auraient pu sérieusement affaiblir le CDH. C’était, entendait-on chez certains diplomates occidentaux, une manière d’ouvrir la boîte de Pandore. Dix-sept ONG de défense des droits humains ne disaient pas le contraire dans une lettre dans laquelle ils mettaient en garde contre le risque de prise d’otage de la résolution par des Etats qui viseraient à affaiblir le CDH. Acculé, Washington n’avait plus vraiment le choix.
La décision américaine ne manque pas d’ironie. Washington estime que le caractère anti-israélien du Conseil est devenu insupportable et motive son retrait. C’est la principale raison que les Etats-Unis invoquent pour quitter le Conseil. A un moment où les droits humains sont attaqués de toutes parts, cette démission crée un vide abyssal dont la Chine pourrait profiter. Elle a déjà présenté une résolution intitulée «Coopération mutuellement bénéfique» qui remet en question l’universalité des droits humains.
Une politique unidimensionnelle
Pour rappel, c’est en raison de la politique de la chaise vide pratiquée par Washington sous George W. Bush que le CDH avait réussi à voter en faveur d’un point à l’ordre
La MaisonBlanche abandonne la possibilité d’influer sur de nombreux dossiers où les intérêts des EtatsUnis sont en jeu
du jour exclusivement consacré à la question israélo-palestinienne. Israël sera par conséquent beaucoup moins bien défendu. De plus, la Maison-Blanche abandonne la possibilité d’influer sur de nombreux autres dossiers où les intérêts des Etats-Unis sont en jeu. Si la politique américaine tend à être surdéterminée par la question d’Israël, la présidence Trump a fait de la défense inconditionnelle de l’Etat hébreu son principal cheval de bataille. Nikki Haley a toujours épargné Tel-Aviv, qualifiant de «honte» la résolution récemment adoptée par le CDH lors d’une session spéciale sur les événements de Gaza du 14 mai dernier.
Directeur exécutif de l’ONG Human Rights Watch (HRW), Kenneth Roth est très critique: «Le retrait de l’administration Trump est un triste reflet de sa politique unidimensionnelle des droits de l’homme. Défendre les abus commis par Israël contre toute critique prime sur tout le reste. Le Conseil des droits de l’homme a pourtant joué un rôle important dans des pays comme la Corée du Nord, la Syrie, la Birmanie et le Soudan du Sud.» Kenneth Roth ajoute: «Le président Trump a décidé que l’Amérique d’abord [«America First»] signifie ignorer, à l’ONU, les souffrances des civils en Syrie et des minorités ethniques en Birmanie.» Le directeur de HRW reconnaît que le CDH a ses défauts, mais précise qu’il «joue un rôle vital en abordant les graves violations des droits fondamentaux dans le monde». En comparaison, le Royaume-Uni, lui aussi très critique du point 7 de l’ordre du jour, a adopté une attitude différente. Son ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson, était à Genève lundi. Il l’a martelé: Londres reste membre du Conseil, mais votera systématiquement contre toute résolution découlant de ce point 7.
▅