Souvent moquée, la langue d’entreprise a pourtant de vraies vertus
JARGON Impénétrable voire ridicule pour le novice, le dialecte propre à l’entreprise permet de créer un sentiment d’appartenance et de renforcer la culture d’entreprise. Explications du linguiste Dardo de Vecchi
Attention, cet article va impacter l’implémentation du process disruptif de votre waouh effect. Vous n’avez rien compris? C’est normal. Car, assumons l’anglicisme, c’est du bullshit. Une façon de s’exprimer qui fleurit dans l’économie, les entreprises et dans le monde des start-up et qui est totalement impénétrable à qui ne fait pas partie du milieu (et peut-être même aussi à ceux qui en font partie). C’est sur le réseau social LinkedIn en particulier que ce genre de discours s’épanouit.
Au point que les humoristes s’en moquent ou que des développeurs informatiques mettent au point leurs propres sites auto-générateurs de phrases toutes faites, en anglais ou en français (mais le plus souvent truffé d’anglicismes), pour qui voudrait suivre la tendance.
Cette langue relève-t-elle du snobisme? En partie, en tout cas. «Quand une personne demande à une autre de lui «envoyer ASAP» tel document, alors qu’un mot de la vie courante existe en français, c’est du pur snobisme», explique Dardo de Vecchi, professeur associé à la KEDGE Business School à Marseille. C’est également le cas lorsque l’objectif est de se distinguer et de marquer une frontière avec son interlocuteur ou dès qu’un mot n’est pas un terme technique, poursuit ce linguiste spécialisé dans les langages d’entreprise. Un peu comme un médecin qui utiliserait les mêmes termes pour parler avec un patient qu’avec un confrère.
Les secteurs, ou les entreprises ellesmêmes, ont toujours leur jargon. Bourrés de mots anglais, d’expressions et de sigles, ils sont incompréhensibles à l’oreille novice. Or, aussi ridicules qu’ils paraissent, ils ont aussi un rôle, notamment pour renforcer la culture d’entreprise. «Derrière le jargon, ou plutôt ce que je préfère appeler le parler d’entreprise pour éviter la connotation négative, se cachent beaucoup de choses, en particulier l’appartenance à un groupe et l’identité d’une entreprise», ajoute Dardo de Vecchi. Qui ne manque pas de décontenancer une recrue, qui fera souvent semblant de comprendre pour éviter de passer pour un incompétent et de causer quelques casse-tête lors de fusions ou acquisitions d’entreprises, où «deux dialectes se trouvent opposés».
«Il faut parler Peugeot pour y travailler, pas Volvo ou Renault. Ces entreprises partagent la mécanique automobile, mais ce qui diffère, c’est la façon dont elles s’approprient le vocabulaire, pour avoir un avantage concurrentiel. Si tout le monde utilise les mêmes mots, comment on se différencie?» demande-t-il. Tout en admettant que les mots différencient les produits, «même si leur contenu peut en réalité être très proche».
Si l’anglais y tient une place démesurée, c’est «tout simplement parce que beaucoup ont appris dans cette langue, en particulier les experts du marketing ou de la finance, où l’influence de l’anglais est très forte, et ne connaissent pas les traductions. Or, une fois qu’un mot s’est installé, même si une traduction existe ou a été trouvée, c’est trop tard», assure le linguiste. Une manière de s’exprimer extrêmement précise, à l’opposé de la langue de bois, où on occupe un espace de parole sans donner d’informations.
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