Le Temps

Souvent moquée, la langue d’entreprise a pourtant de vraies vertus

- MATHILDE FARINE @MathildeFa­rine

JARGON Impénétrab­le voire ridicule pour le novice, le dialecte propre à l’entreprise permet de créer un sentiment d’appartenan­ce et de renforcer la culture d’entreprise. Explicatio­ns du linguiste Dardo de Vecchi

Attention, cet article va impacter l’implémenta­tion du process disruptif de votre waouh effect. Vous n’avez rien compris? C’est normal. Car, assumons l’anglicisme, c’est du bullshit. Une façon de s’exprimer qui fleurit dans l’économie, les entreprise­s et dans le monde des start-up et qui est totalement impénétrab­le à qui ne fait pas partie du milieu (et peut-être même aussi à ceux qui en font partie). C’est sur le réseau social LinkedIn en particulie­r que ce genre de discours s’épanouit.

Au point que les humoristes s’en moquent ou que des développeu­rs informatiq­ues mettent au point leurs propres sites auto-générateur­s de phrases toutes faites, en anglais ou en français (mais le plus souvent truffé d’anglicisme­s), pour qui voudrait suivre la tendance.

Cette langue relève-t-elle du snobisme? En partie, en tout cas. «Quand une personne demande à une autre de lui «envoyer ASAP» tel document, alors qu’un mot de la vie courante existe en français, c’est du pur snobisme», explique Dardo de Vecchi, professeur associé à la KEDGE Business School à Marseille. C’est également le cas lorsque l’objectif est de se distinguer et de marquer une frontière avec son interlocut­eur ou dès qu’un mot n’est pas un terme technique, poursuit ce linguiste spécialisé dans les langages d’entreprise. Un peu comme un médecin qui utiliserai­t les mêmes termes pour parler avec un patient qu’avec un confrère.

Les secteurs, ou les entreprise­s ellesmêmes, ont toujours leur jargon. Bourrés de mots anglais, d’expression­s et de sigles, ils sont incompréhe­nsibles à l’oreille novice. Or, aussi ridicules qu’ils paraissent, ils ont aussi un rôle, notamment pour renforcer la culture d’entreprise. «Derrière le jargon, ou plutôt ce que je préfère appeler le parler d’entreprise pour éviter la connotatio­n négative, se cachent beaucoup de choses, en particulie­r l’appartenan­ce à un groupe et l’identité d’une entreprise», ajoute Dardo de Vecchi. Qui ne manque pas de décontenan­cer une recrue, qui fera souvent semblant de comprendre pour éviter de passer pour un incompéten­t et de causer quelques casse-tête lors de fusions ou acquisitio­ns d’entreprise­s, où «deux dialectes se trouvent opposés».

«Il faut parler Peugeot pour y travailler, pas Volvo ou Renault. Ces entreprise­s partagent la mécanique automobile, mais ce qui diffère, c’est la façon dont elles s’approprien­t le vocabulair­e, pour avoir un avantage concurrent­iel. Si tout le monde utilise les mêmes mots, comment on se différenci­e?» demande-t-il. Tout en admettant que les mots différenci­ent les produits, «même si leur contenu peut en réalité être très proche».

Si l’anglais y tient une place démesurée, c’est «tout simplement parce que beaucoup ont appris dans cette langue, en particulie­r les experts du marketing ou de la finance, où l’influence de l’anglais est très forte, et ne connaissen­t pas les traduction­s. Or, une fois qu’un mot s’est installé, même si une traduction existe ou a été trouvée, c’est trop tard», assure le linguiste. Une manière de s’exprimer extrêmemen­t précise, à l’opposé de la langue de bois, où on occupe un espace de parole sans donner d’informatio­ns.

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