Juste un slogan? Ou une vraie prise de conscience que le succès ne se résume pas au profit?
Terme à la mode, «durabilité» est utilisé à toutes les sauces. Il faut un changement de perspective au sein de l’entreprise, se demander où résident les problèmes et ce qu’on peut faire pour les résoudre
Le fabricant de bonbons aux herbes et de tisanes a vu le jour en 1930 dans la confiserie Richterich. L’entreprise exporte aujourd’hui dans plus de 50 pays. En 2017, le fabricant de chocolat a réalisé un chiffre d’affaires mondial dépassant les 4 milliards de francs. La nécessité de résoudre des problèmes urgents n’est pas indifférente: cette réflexion est plus actuelle que jamais dans le monde économique
Faire des affaires en harmonie avec l’homme et la nature. Assumer la responsabilité à chaque étape de la production. Imprimer un élan et fonctionner comme modèle au sein de la société. Le producteur de cosmétique naturelle Weleda est souvent cité en exemple parmi les marques durables. Parce que, dans cette entreprise presque centenaire, il y a eu dès le début un credo: agir et produire de manière éthique. Parce que les collaborateurs connaissent et incarnent les valeurs de leur employeur. Parce que les clients savent ce que représentent les produits et qu’ils jouissent d’une grande considération. Et parce que la durabilité est l’affaire du chef.
Ce dernier point est absolument nécessaire pour être crédible. Dans la stratégie d’entreprise, la durabilité devrait être gravée dans le marbre et constituer l’objectif supérieur, assure Claus-Heinrich Daub, enseignant de gestion d’entreprise durable à la Haute Ecole spécialisée du nord-ouest de la Suisse au fil de diverses interviews. Dans l’idéal, il en naît une prise de conscience que le succès ne se résume pas au chiffre d’affaires, à la croissance du bénéfice et aux parts de marché. Il se mesure aussi à la possibilité de créer de la plus-value pour la société et l’environnement.
«Reste que pour bon nombre d’entreprises, les objectifs économiques figurent au premier plan», fait remarquer Thomas Dyllick, enseignant de management durable à l’Uni de Saint-Gall. La durabilité est certes brandie comme un étendard, mais elle est surtout un expédient pour vendre. Les entreprises comprennent qu’avec ça elles économisent des coûts et réduisent les risques. En plus, cela leur permet d’apparaître comme un employeur attrayant et de se distinguer positivement de la concurrence.
Les entreprises qui se conforment à une «création de valeur tridimensionnelle» font un pas de plus, avec des objectifs à la fois économiques, écologiques et sociaux. C’est notamment le cas quand de grands groupes comme Henkel se fixent pour but d’accroître le chiffre d’affaires tout en ménageant les ressources et en améliorant les conditions de vie des personnes impliquées dans la chaîne des fournisseurs. Il faut bien sûr rendre publiquement des comptes sur les objectifs, atteints ou non. Les entreprises reconnaissent ainsi qu’elles sont conscientes des répercussions négatives de leurs activités et elles élaborent des stratégies pour minimiser les dommages.
Combattre la pauvreté, améliorer les mauvaises conditions de travail, agir contre la disparition des espèces et le changement climatique: il ne suffit pas de limiter les dégâts pour prendre la mesure de tels paris, poursuit Thomas Dyllick. Pour cela, il faut un changement de perspective au sein de l’entreprise: se demander où résident les problèmes et ce qu’on peut faire pour les résoudre.
Pionniers durables
C’est une façon de penser qui commence à s’imposer dans certains secteurs des grandes entreprises. Parmi les start-up et dans le domaine des activités sociales, en revanche, elle est beaucoup plus développée. Exemple: Mobility. L’entreprise de car-sharing a été créée pour promouvoir une mobilité respectueuse de l’environnement. Désormais, près de 170 000 clients se partagent 3000 véhicules sur plus de 1500 stationnements. A en croire les données de l’entreprise, cela économise annuellement 9,5 millions de litres de carburant et plus de 22 000 tonnes de CO2. Selon les sondages, Mobility est perçue comme une marque soucieuse de durabilité et sa flotte de véhicules rouges jouit d’un haut degré de reconnaissance.
La nécessité de résoudre des problèmes urgents n’est pas indifférente: cette réflexion est plus actuelle que jamais dans le monde économique. Pourtant elle n’est pas nouvelle. Thomas Dyllick mentionne Henri Nestlé et les frères Lever comme pionniers, fondateurs de deux grands groupes cotés en bourse qui, de nos jours, sont souvent montrés du doigt comme n’agissant pas dans le respect de la durabilité. Or Nestlé et Unilever ont été fondées à la suite de problèmes sociaux importants à leur époque: pour lutter contre la mortalité infantile en Allemagne et en Suisse, contre les conditions d’hygiène catastrophiques dans l’Angleterre victorienne. Bien sûr, il en est résulté une opportunité de marché lucrative, mais elle était liée à un sens et un but profonds de l’activité économique.
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