L’Europe a-t-elle réussi à moderniser la Grèce?
Cette semaine, les membres de l’Eurogroupe ont officiellement mis un terme à huit ans de politiques d’austérité imposées à la Grèce en échange d’un soutien financier. A partir du 21 août, fini la tutelle de Bruxelles, Athènes pourra se refinancer sur les marchés, à nouveau libre. Pour éviter d’autres dérapages, ses partenaires ont finalement accepté de négocier le remboursement de sa dette (jusqu’en 2069) et même consenti un coussin de 24 milliards de dollars pour freiner les éventuels spéculateurs. Les trois plans de sauvetage (de l’Europe et du FMI) ont injecté au total 273 milliards d’euros pour éviter le pire, la faillite de l’Etat grec. Depuis l’an dernier, son économie a renoué avec la croissance.
Les Grecs, de leur côté, ont encaissé une baisse généralisée de leur niveau de vie, un démantèlement de leur système social, des privatisations souvent imposées et l’humiliation de la perte de leur souveraineté budgétaire. Aujourd’hui, le chômage reste endémique, 20% en moyenne, plus de 40% chez les jeunes, la pauvreté a fait un bond. Après cette cure sans précédent, la dette publique a encore grimpé pour atteindre 178% du PIB. Si elles ne seront plus soumises au diktat bruxellois, les autorités grecques restent sous surveillance. Sans doute pour longtemps encore.
Le prix du sauvetage de la Grèce en valait-il la peine? Pour les tenants de l’euro, la question fait encore débat. Le Grexit n’aurait-il pas été en définitive préférable à ce drame sans fin qui a creusé les fractures du continent et terni l’image des technocrates bruxellois? Tout le monde en convient aujourd’hui: c’était une erreur d’inclure la Grèce dans la monnaie unique en 2001. Il aurait mieux valu en tirer la seule conclusion possible: crever l’abcès en rendant sa liberté monétaire à Athènes. Mais à quel coût pour la Grèce et l’eurozone (souvenez-vous de la théorie des dominos)?! A l’inverse, on pourra juger que ce «stress test» a démontré la capacité de la monnaie unique à surmonter une crise systémique avec la mise en place de nouveaux instruments financiers. Mieux, le dérapage grec – et sa résolution – aura permis d’accélérer la mise en place d’un budget commun de la zone euro, instrument indispensable à sa survie à plus long terme. Un projet qui semble enfin prendre corps, sous l’impulsion française.
Au-delà de la monnaie unique, le cas grec questionne le sens même de la construction européenne: l’UE peut-elle intégrer n’importe quel pays, y compris un Etat défaillant? Le succès du sauvetage de la Grèce se jugera en définitive sur la modernisation – ou non – de l’Etat grec. Depuis huit ans, des centaines de réformes ont été engagées (encore 88 ces derniers jours). Le système des partis a été mis à plat, les deux grandes formations – les socialistes et les conservateurs – s’étant effondrées, victimes de leur propre corruption, mais aussi des coups de butoir de Bruxelles pour mettre fin au système de clientèle.
Si toutes les réformes engagées depuis huit ans devaient aboutir à l’émergence d’un Etat fonctionnel, capable de lever l’impôt et de protéger ses citoyens de l’arbitraire, bref de faire passer la Grèce du XIXe siècle au XXIe siècle, alors les sacrifices endurés ces dernières années n’auront pas été vains. Et l’Europe pourrait en tirer quelque crédit. Si, au contraire, les Grecs devaient retrouver leurs vieilles habitudes aussitôt que les fonctionnaires de Bruxelles auront tourné le dos, ils planteront alors un clou de plus dans le cercueil européen. ▅
Le prix du sauvetage de la Grèce en valait-il la peine? Pour les tenants de l’euro, la question fait encore débat