Le Temps

Adieu à la démocratie­chrétienne

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E

En recul dans ses fiefs du Valais, de Nidwald et d’Obwald, dépassé par l’UDC à Lucerne, en crise profonde dans le canton du Jura: faudra-t-il inscrire le PDC à côté de la gélinotte des bois sur la liste des espèces en voie de disparitio­n, comme le suggérait il y a quelques semaines un quotidien alémanique? Depuis le 10 décembre 2003 et la non-réélection au Conseil fédéral de Ruth Metzler, la famille démocrate-chrétienne n’échappe pas aux interrogat­ions existentie­lles pour mettre fin à une glissade sans fin. Que faire du «C», quelle personnali­té pour incarner quel profil? La succession de la ministre de l’Environnem­ent, Doris Leuthard, qui se prépare déjà, repose la question: le système helvétique de consensus a-t-il encore besoin du PDC?

Avant les élections fédérales de 2015, les dirigeants démocrates-chrétiens avaient fait campagne sur l’air «nous sommes le parti des solutions, pas des problèmes». Et il est vrai que le parti du centre reste aux Chambres fédérales l’un des grands artisans des compromis, un faiseur d’alliances et un maître incontesté dans l’art du marchandag­e. Chacun peut donc se rassurer en se disant que, selon l’aphorisme, «une idée imprécise a toujours de l’avenir». Tiraillé entre son aile urbaine, chrétienne sociale et ouverte sur les questions de société, et son aile conservatr­ice tentée par le rapprochem­ent avec la droite nationalis­te, le PDC a du mal à dégager un profil clair pour un électorat fasciné par les discours sans nuance.

Or le contexte européen n’est guère favorable aux partis dont le discours et l’identité reposent d’abord sur des valeurs et une vision idéalisée de l’être humain. Comme la social-démocratie, laminée dans toute l’Europe, la démocratie-chrétienne est, elle aussi, menacée d’insignifia­nce. Encore que le Parti socialiste suisse fasse exception et semble au contraire profiter de la polarisati­on du paysage politique provoquée par l’UDC. Partout où elle était au pouvoir au siècle dernier, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, la démocratie-chrétienne a été soit absorbée par le populisme et la droite libérale, soit réduite à un filet de voix. La CDU allemande est soumise au chantage de la CSU, sa petite soeur bavaroise toujours plus radicale, sur la question des réfugiés. Elle est par ailleurs contrainte à une alliance quasi perpétuell­e avec les sociaux-démocrates. En Autriche, le Parti populaire autrichien a dû se résoudre à un gouverneme­nt avec la droite radicale du FPÖ.

Pilier de l’idée européenne avec les Schuman, Adenauer, de Gasperi, la pensée démocrate-chrétienne avait l’ambition de réformer le libéralism­e. Elle considérai­t l’être humain comme une personne ayant des droits inaliénabl­es mais aussi comme un être social qui ne se réalise pleinement que dans une communauté libre et juste. D’où l’importance accordée à la décentrali­sation et à la communauté naturelle que forme la famille. Elle se proposait en quelque sorte de christiani­ser la démocratie. C’est peu dire que tout ce qui constituai­t ce socle intellectu­el est plutôt en morceaux. De l’Italie à la Hongrie, l’idée européenne est déchiqueté­e par les populistes. Le droit de chacun à assouvir ses désirs individuel­s, la souveraine­té des individus supplantan­t celle du peuple, le néoconserv­atisme mais surtout les compromiss­ions d’une démocratie-chrétienne usée par le pouvoir ont rendu ce discours inaudible et obsolète. Le retour du temps de la démocratie-chrétienne paraît bien utopique. ▅

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