Le Temps

Yanela, icône des drames à la frontière

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

ÉTATS-UNIS Une petite Hondurienn­e de 2 ans est devenue le visage de la politique barbare de séparation des familles de clandestin­s de Donald Trump. L’auteur de l’image raconte

Elle s’appelle Yanela. C’est elle, la petite migrante hondurienn­e de 2 ans, qui figure sur la couverture de l’édition du 2 juillet du Time, minuscule face à Donald Trump, avec le titre, ravageur: «Welcome to America». Yanela est surtout cette petite fille en haut rouge fuchsia et bouclettes brunes sauvages qui, dans l’image initiale, pleure

«A peine le contrôle corporel fini, elles ont été mises dans un van.

J’ai dû arrêter de prendre des photos et respirer profondéme­nt»

JOHN MOORE, L’AUTEUR DE «LA» PHOTO

devant sa mère, arrêtée par un agent de la Border Patrol. Très rapidement, le cliché de John Moore, photograph­e qui travaille pour Getty Images, a été partagé et vu par des millions de personnes. Et a fait de la fillette le symbole des drames à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. L’icône de la criminalis­ation des migrants par Donald Trump. Un des visages de la réalité des séparation­s des familles d’illégaux.

Aussi emblématiq­ue que le petit Syrien Aylan

Yanela ne le sait pas, mais elle a en quelque sorte fait plier le président américain. Sous les critiques et face au torrent de réactions indignées, Donald Trump a été contraint de faire volte-face et de renoncer à séparer les familles de clandestin­s. Les images ont parlé. Les larmes des enfants devant leurs parents arrêtés ou, plus tard, derrière des grillages, démunis, ont fait le tour du monde. Celles de Yanela en particulie­r.

Yanela est devenue aussi iconique que le petit Syrien Aylan, retrouvé mort en septembre 2015 sur une plage de Bodrum, en Turquie, et dont un cliché tragique le montrant sans vie sur le sable rappelait brutalemen­t les drames en Méditerran­ée. Sauf que dans son malheur, elle a eu plus de chance. Plus de chance aussi, semblet-il, que les plus de 2350 enfants clandestin­s séparés de leurs parents depuis début mai et parfois transférés à des milliers de kilomètres du lieu où sont détenues leurs familles. Son père vient de raconter son histoire à un média du Honduras, Univision, et au Daily Mail. Yanela serait «en sécurité» avec sa mère Sandra, âgée de 32 ans, qui a déposé une demande d’asile aux EtatsUnis. Toutes deux ensemble dans un centre de détention texan. Mais rien ne permet pour l’instant de le prouver.

Sandra serait partie du Honduras avec sa fille le 3 juin et aurait payé un «coyote» (passeur) près de 6000 dollars. Sans vraiment attendre le consenteme­nt de son mari. Yanela est la cadette d’une fratrie de quatre. Elle a un frère de 14 ans et deux soeurs, de 11 et 6 ans. Elle et sa mère faisaient partie d’un groupe de migrants qui poursuivai­ent le même but: tenter leur chance aux Etats-Unis.

Le photograph­e de guerre John Moore, qui travaille depuis plusieurs années sur les drames aux frontières et a gagné notamment le Prix Pulitzer, raconte le contexte de sa photo. La scène a été prise le 12 juin, vers minuit. ll était avec des agents de la Border Patrol lorsqu’un groupe de migrants a été arrêté après avoir traversé le Rio Grande sur un radeau, près de McAllen, au Texas. Des familles qui ne se doutaient pas de la nouvelle politique imposée par l’administra­tion Trump. Sandra était la dernière du groupe à avoir été contrôlée. Elle portait sa fille dans les bras et l’a posée à terre pour se soumettre à un contrôle corporel. Les cris de la fillette ont bouleversé le photograph­e. Au moment précis de prendre la photo, il a ressenti de la tristesse, explique-t-il au Temps. «Je suis moi-même père, et entendre un enfant en détresse provoque une réaction viscérale.»

Une détention qui s’annonce interminab­le

Tout est allé très vite. «Faire cette photo était dur pour moi. A peine le contrôle corporel fini, elles ont été mises dans un van. J’ai dû arrêter de prendre des photos et respirer profondéme­nt», a-t-il raconté au Time. John Moore a aussi immortalis­é le moment où la mère nourrissai­t sa fille au sein. Puis quand Sandra semblait faire les lacets de Yanela. Elle était en fait en train de les défaire, les gardes-frontières confisquan­t des affaires personnell­es.

Le photograph­e suivait ce jour-là le travail d’agents de la Border Patrol et était en quelque sorte embedded. Il n’était pas censé interagir avec les migrants, mais a eu un bref échange avec Sandra. Aujourd’hui, il se dit rassuré d’entendre que mère et fille n’auraient pas été séparées. Mais, précise-t-il, «en raison de la pratique actuelle, elles se trouvent en détention et pourraient le rester pendant toute la durée de leur procédure d’asile, ce qui peut prendre du temps».

Cette photo risque de devenir l’une des plus fortes de sa carrière. Il ne s’y attendait pas vraiment. «A chaque fois que je parviens à incarner une problémati­que complexe – dans ce cas, la politique de «tolérance zéro» du président Trump –, cela crée de la compassion. Quand j’ai pris cette photo, je savais que ce serait important, mais je ne pouvais pas savoir qu’elle atteindrai­t un tel niveau d’attention», commente John Moore. Yanela non plus. ■

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(DR) La couverture du «Time», édition du 2 juillet. Le cliché de John Moore a été partagé et vu par des millions de personnes.

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