Genève sous la menace de Donald Trump
Après la décision américaine de se retirer du Conseil des droits de l’homme, la Cité de Calvin s’inquiète de l’impact global de la présidence Trump sur son rayonnement dans le monde
La présidence de Donald Trump a touché le nerf de la Genève internationale: le multilatéralisme. En annonçant mardi le retrait des Etats-Unis du Conseil des droits de l’homme (CDH), Washington donne un coup de canif dans une institution dont la Suisse a favorisé la création en 2006. Boycotté par la présidence Bush, le CDH accueillera à bras ouverts en 2009 l’administration de Barack Obama, dont l’engagement dans l’organe onusien fut considérable.
Le moment est grave tant les droits de l’homme sont attaqués sur deux fronts. L’émergence ou le renforcement de pouvoirs autoritaires à travers la planète (Erdogan, Duterte, Xi, Poutine, Orban) sape le respect des droits fondamentaux. Plusieurs puissances comme la Chine contestent l’universalité des droits humains, accusés d’être issus de «l’imagination des Occidentaux».
Les Etats-Unis de Donald Trump ont paradoxalement continué de jouer un rôle actif au CDH en promouvant des résolutions sur le Sri Lanka, la Corée du Nord, le Soudan du Sud, voire sur la liberté d’expression. En le quittant, ils placent le Conseil dans une situation inédite. Jamais un membre n’avait quitté l’organe onusien auparavant. Le CDH va continuer son travail, mais il sera forcément affaibli. Il le sera d’autant plus si les Américains refusent de se soumettre à l’Examen périodique universel, une revue par les pairs du CDH de son bilan en matière de droits de l’homme.
La Chine a bien compris l’intérêt d’occuper le terrain déserté par les Américains. Le discours à l’ONU, à Genève, de Xi Jinping le 20 janvier 2017, jour de l’investiture de Trump, fut un signal clair. Pékin a déjà réussi à faire passer au CDH une résolution intitulée «Une coopération mutuellement bénéfique», derrière laquelle se cache la volonté de saper à terme les enquêtes indépendantes sur les graves violations des droits de l’homme. La Russie elle-même, qui n’a pas réussi à se faire élire au CDH en 2016, souffle sur les braises. Ces derniers jours, elle a laissé entendre qu’elle ferait acte de candidature pour le siège américain. Un acte de défiance inutile, car le siège ne sera repourvu que parmi les Etats du groupe occidental.
Inquiet pour l’OMC
Genève n’est pas la seule victime des décisions de la présidence Trump, qui s’est appliquée à dénoncer les accords sur le nucléaire iranien et le climat. Mais elle est directement concernée par une administration qui tend à rejeter Genève par le simple fait qu’elle est une ville onusienne. La Cité de Calvin était sur les rangs pour accueillir le sommet Kim-Trump. Mais pour Donald Trump, Genève est beaucoup trop associée à l’ONU. Même pour les discussions techniques devant prendre place après le sommet de Singapour, Genève a dû essuyer le même refus américain. Un diplomate occidental est plus circonspect: «Il ne faut pas l’interpréter comme un refus de tout multilatéralisme, mais comme le choix d’un multilatéralisme beaucoup plus ciblé qui sert au sens étroit les intérêts américains.»
Président du Conseil d’Etat genevois chargé du dossier de la Genève internationale, Pierre Maudet «refuse de faire dans le catastrophisme. Il y a un paradoxe. D’un côté, on cherche chaque année à développer des régulations jugées nécessaires dans des domaines précis. De l’autre, on est face à une grande puissance qui abdique de plus en plus ses responsabilités.» Pierre Maudet l’admet: «Je suis davantage inquiet au sujet de l’OMC, qui est le parangon du multilatéralisme en matière commerciale. La nouvelle posture de politique étrangère américaine qui consiste à voir le monde sous l’angle de tensions bipolaires, par exemple avec cette guerre commerciale avec les Chinois, augure un vrai problème de stabilité pour la planète. C’est à Genève et à l’OMC que doit se régler ce problème.»
De 1,9 million à zéro
Le retrait américain du CDH n’a pas d’incidence financière directe. Si l’on prend les principales agences basées à Genève, les Etats-Unis comptent pour plus de 27% de leur budget. Leur contribution est de loin la plus importante. La Maison-Blanche a déjà orchestré plusieurs coupes douloureuses. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont le secrétariat est à Genève, a vu la contribution américaine passer de 1,9 million de francs en 2016 à zéro en 2017-2018.
Le haut-commissaire de l’ONU pour les réfugiés (HCR), Filippo Grandi, illustre le dilemme de son organisation. Dans une interview accordée jeudi à CNN, il a fallu l’insistance de la journaliste Christiane Aman pour qu’il reconnaisse, sans parler nommément de l’administration Trump, que la séparation des enfants de leurs parents à la frontière américano-mexicaine était une pratique «inhumaine». Le haut-commissaire marche sur des oeufs. Washington est de loin le plus grand contributeur du HCR avec sa part de 1,5 milliard de dollars (37,8% du budget).
Les ambitions palestiniennes
D’autres organismes internationaux sont menacés. En mai, l’Etat de Palestine a adhéré à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Cette fois-ci, le danger ne vient pas du président Trump, mais d’une loi du Congrès qui interdit à l’Amérique de financer une organisation ayant accepté comme membre la Palestine. Lors des débats en Cinquième Commission à New York sur le budget 2019-2020, Washington va sans doute faire pression et supprimer sa contribution volontaire (1,5 million de dollars en 2016). Contacté par Le Temps, l’ambassadeur de la Palestine auprès de l’ONU, Ibrahim Khraishi, n’exclut pas que le président palestinien Mahmoud Abbas réfléchisse à l’avenir à une adhésion à l’OIT (travail), à l’UIT (télécommunications), voire à l’OMPI (propriété intellectuelle).
«Nous avons toutefois renoncé à adhérer à l’Organisation mondiale de la santé, précise Ibrahim Khraishi. Les risques de suppression du financement américain étaient trop élevés. En insistant sur notre adhésion, nous aurions pu causer beaucoup de dommage à l’OMS.» Les Américains versant surtout des contributions volontaires aux organisations à Genève, la présidence Trump pourrait facilement les supprimer. Pour les contributions obligatoires au budget régulier de l’ONU, c’est le Congrès et non la Maison-Blanche qui a le dernier mot.
Le CICR lui-même n’est pas à l’abri des humeurs de Donald Trump. L’Assemblée du CICR craint sa très grande dépendance à un petit groupe de donateurs et les possibles réductions de la contribution des Etats-Unis, le premier donateur du CICR. ▅
«Ce n’est pas un refus de tout multilatéralisme mais le choix d’un multilatéralisme beaucoup plus ciblé»
UN DIPLOMATE OCCIDENTAL