Le Temps

Les gardiens des données veulent du renfort

Les préposés cantonaux estiment que l’on accorde trop d’importance à la technologi­e et pas assez à la sécurité des informatio­ns privées des citoyens. Ils réclament 200 postes de plus

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

Ils partirent 50 mais se verraient bien 200 de plus pour arriver à bon port. Les préposés cantonaux à la protection des données tirent la sonnette d'alarme. Ils lancent un appel à leurs employeurs, les 26 cantons: ils ne sont pas assez nombreux pour accomplir le travail qu'on attend d'eux et le défi de la numérisati­on ne fait qu'accentuer le problème. «Pour une surveillan­ce efficace de la transition numérique de l'Etat, les cantons ont besoin de 200 postes supplément­aires dès maintenant», s'exclame le Rodrigue de service, Beat Rudin, préposé de Bâle-Ville et président de la Conférence des préposés suisses à la protection des données Privatim.

La situation reste très variable d'un endroit à l'autre. Le système fonctionne relativeme­nt bien dans six à sept cantons, évalue à la louche Beat Rudin. Le Bâlois n'hésite en revanche pas à affirmer que, dans une dizaine d'autres, la protection des données n'est qu'un exercice alibi. «Certaines autorités ne sont dotées que d'un poste à 20 ou 30%, souvent exercé comme seconde fonction au sein d'une administra­tion publique ou occupé par un juriste à côté de son activité d'avocat privé», relève-t-il.

«Faudra-t-il un scandale?»

Les moyens mis à dispositio­n sont très différents selon les cantons. Zurich y consacre 9,2 postes, Bâle-Ville 5, Genève 2,3 et Vaud 2. Les plus petits se regroupent parfois. Ainsi, Neuchâtel et le Jura se sont dotés d'un bureau commun, localisé aux Breuleux (JU) et composé du préposé Christian Flückiger, occupé à 100%, et d'une assistante à 60%. Le budget de 300 000 francs est financé à 71% par Neuchâtel et à 29% par le Jura. «Cette union nous permet d'atteindre une masse critique suffisante», analyse Christian Flückiger.

Globalemen­t, toutefois, les services cantonaux ne s'estiment pas en mesure de remplir leurs missions. Ils sont censés donner des conseils aux autorités et aux citoyens, traiter les plaintes de ces derniers, se prononcer sur les projets de loi, procéder à des contrôles, sensibilis­er le public à l'importance de la sécurité des données et coopérer avec leurs pairs d'autres cantons voire

«Par manque de ressources, nous ne sommes pas en état d’accomplir nos tâches»

CLAUDIA MUND, PRÉPOSÉE ZOUGOISE

d'autres pays. Dans les faits, se désole la préposée zougoise Claudia Mund, ils doivent souvent se limiter aux tâches de conseil, à la publicatio­n d'un rapport annuel et à la coopératio­n avec les autres cantons. «Par manque de ressources, nous ne sommes pas en état d'accomplir nos tâches», regrette-t-elle.

«La numérisati­on est une réalité, également dans l'administra­tion publique. Elle provoque une augmentati­on exponentie­lle des données personnell­es des citoyens à traiter. Mais, trop souvent, leur protection est considérée comme un obstacle à cette évolution. Or, ce n'est pas le cas. La défense de la sphère privée des citoyens fait partie des droits fondamenta­ux. Elle doit être prise en compte. Faudra-t-il un scandale pour que les choses bougent? Je ne l'espère pas», argumente Beat Rudin, qui invite les autorités cantonales à augmenter massivemen­t les moyens alloués à ceux qu'elles mandatent pour empêcher l'exploitati­on abusive des informatio­ns confiées par les citoyens sur internet.

La santé, un secteur sensible

Les préposés cantonaux se disent surtout frustrés de ne pouvoir faire suffisamme­nt de contrôles. Un exemple, cité par le responsabl­e zurichois Bruno Baeriswyl: ses services ont identifié 150 institutio­ns traitant de données sensibles, mais seules 30 peuvent être contrôlées chaque année. La santé fait partie de ces secteurs sensibles. Les informatio­ns que les hôpitaux enregistre­nt sur les patients doivent être sécurisées de manière absolue et les préposés cantonaux doivent pouvoir vérifier que c'est bien le cas. Or, dans ce domaine, il y a des «lacunes inquiétant­es», diagnostiq­ue Bruno Baeriswyl. Les standards de sécurité des données sont plus élevés dans les banques que dans les hôpitaux, déplore-t-il.

La Confédérat­ion a aussi son propre service. Le préposé fédéral, qui fera le point lundi sur les conséquenc­es de la digitalisa­tion pour la sécurité des données, dispose de 26 postes, qui s'ajoutent à la cinquantai­ne de juristes et informatic­iens des cantons. La loi fédérale sur la protection des données étant précisémen­t en cours de (laborieuse) révision, ne serait-ce pas l'occasion de créer davantage de synergies entre la Confédérat­ion et les cantons? Beat Rudin répond par la négative. «Les contrôles doivent rester décentrali­sés et proches des citoyens. Une centralisa­tion n'est pas souhaitabl­e. Et les cantons peuvent se regrouper s'ils le jugent nécessaire, comme l'ont fait Neuchâtel et le Jura», dit-il. Il s'en tient à sa tirade cornélienn­e: il espère bien qu'ils seront 200 de plus pour arriver à bon port. Mais il s'agit d'une affaire d'argent et plusieurs cantons sont plutôt dans une logique d'économies. ▅

Les standards de sécurité des données sont plus élevés dans les banques que dans les hôpitaux

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(DANIEL NAUPOLD/KEYSTONE) Pour une surveillan­ce efficace de la transition numérique, les cantons auraient besoin de 200 postes supplément­aires, disent les préposés.

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