Le Temps

«Il a vu Semhar souffrir et mourir sous ses yeux»

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Selon le Tribunal criminel de Genève, le doute n’est pas permis. Le prévenu, un chauffeur de taxi éthiopien, est bien celui qui a abusé et étranglé la fillette de 12 ans. Malgré la sévérité des considéran­ts, ce dernier échappe à la perpétuité mais pas à une mesure d’internemen­t

Le chauffeur de taxi éthiopien est bien l’assassin de la petite Semhar. Le Tribunal criminel de Genève a rendu son verdict ce vendredi dans cette affaire douloureus­e et très disputée. Le prévenu est condamné à une peine privative de liberté de 20 ans pour avoir abusé de la fillette avant de l’étrangler de ses mains. Il est également reconnu coupable de multiples viols, violences et actes de séquestrat­ion sur deux anciennes compagnes. Ce profil de sadique sexuel lui vaut en plus une mesure d’internemen­t ordinaire destinée à protéger la société d’une potentiell­e récidive.

La salle était comble et l’ambiance lourde. A l’issue du verdict, des membres de la communauté éthiopienn­e, venus en nombre et vêtus d’un t-shirt blanc arborant une photograph­ie de la victime, ont manifesté bruyamment haine et colère envers le prévenu. Avant ces débordemen­ts, qui ont davantage perturbé la soeur de Semhar que l’impassible condamné, la présidente Isabelle Cuendet a résumé une heure durant les éléments ayant forgé la conviction des juges.

«Faisceau d’indices accablant»

En substance, «un faisceau d’indices convergent­s particuliè­rement important permet d’écarter tout doute raisonnabl­e». Selon le scénario retenu par le tribunal, Kaleb, de son prénom d’emprunt, s’est trouvé aux abords du domicile de Semhar lorsque celle-ci est rentrée toute seule vers 19h30 ce 23 août 2012. Il savait que la maman, avec laquelle il entretenai­t une liaison, était à l’hôpital avec ses deux autres enfants. L’explicatio­n selon laquelle il était resté dans son taxi à attendre la petite pour un cours de conduite gardé secret est qualifiée de peu crédible. «Elle en aurait parlé à sa mère, surtout à cette heure tardive, et s’y serait rendue sans aller se changer.»

Kaleb est donc monté alors que Semhar, 12 ans, venait de mettre ses habits d’intérieur et jouait vraisembla­blement à un jeu vidéo. Des traces ADN, «compromett­antes à des endroits incriminan­ts», tels le cou, l’intérieur du slip, sous les ongles de la victime ou encore sous le lit où a été dissimulé le corps, ne peuvent s’expliquer par des jeux ou des contacts fortuits. Quant à la chronologi­e des faits, les juges estiment qu’il était «parfaiteme­nt possible» pour le prévenu de rejoindre Semhar, de la déflorer, de l’étrangler, de soulever le lit en usant d’une cale et de revenir à son taxi dans un laps de temps de 36 minutes.

Cruauté et froideur

En guise de mobile, la cour précise que l’intéressé a voulu assouvir des pulsions sexuelles. Il a choisi une cible vulnérable pour satisfaire ce besoin et l’a tuée pour la réduire au silence. Le type de pénétratio­n n’étant pas établi, le verdict retient la contrainte sexuelle et écarte le viol. La circonstan­ce aggravante de l’assassinat découle ici de la cruauté et de la grande froideur manifestée­s par Kaleb. «Il s’en est pris à une enfant qui avait peu de capacités à se défendre. Il l’a vue souffrir et mourir sous ses yeux.» Sans oublier qu’il a encore invité la mère de sa victime au restaurant juste après le crime, alors que leur relation devait rester secrète, et a adopté une attitude troublante durant toute la soirée.

Les dénégation­s du prévenu n’ont pas davantage convaincu dans l’autre volet concernant les violences faites à ses compagnes. Sauf dans un cas où il est acquitté au bénéfice du doute. Dans les deux autres, le tribunal estime que le récit des victimes, des femmes vulnérable­s et isolées, est globalemen­t crédible et corroboré par certains témoignage­s. Là encore, Kaleb a agi pour satisfaire ses envies, il s’est montré envahissan­t et s’est immiscé dans leur vie jusqu’à les enfermer lorsqu’il allait travailler. La circonstan­ce aggravante de la cruauté n’est pas retenue pour les nombreux viols mais le tribunal admet qu’il s’agit d’un cas limite.

Faute lourdissim­e

Pour fixer la peine, le tribunal retient la faute extrêmemen­t lourde du prévenu, qui n’a pas hésité à s’en prendre à une enfant qui avait toute sa confiance. Rien dans sa situation personnell­e n’explique pareille dérive criminelle. Malgré une arrivée difficile en Suisse à l’âge de 16 ans, il s’est ensuite bien intégré, a travaillé et a eu des enfants.

La collaborat­ion de Kaleb à l’enquête est qualifiée de nulle et sa prise de conscience d’inexistant­e. Il a menti et tenté de faire porter le soupçon sur un tiers. Le verdict ajoute qu’il n’a montré aucune empathie envers la famille dont il était pourtant très proche. Malgré la sévérité des considéran­ts et une responsabi­lité pleine et entière, le prévenu échappe à la perpétuité réclamée par le Ministère public. Aucune précision n’a été donnée quant à la motivation de ce choix.

Appel déposé

Placé en détention provisoire depuis bientôt six ans – sans doute un record en la matière –, Kaleb ne se voit pas reconnaîtr­e une violation du principe de célérité. Là encore, le tribunal évoque un cas limite et estime que cette durée peut s’expliquer par la complexité de la procédure et l’attitude du prévenu qui a imposé le recours à de multiples analyses scientifiq­ues.

Durant son procès, Kaleb, toujours calme et distant, a répété qu’il n’avait rien fait. Ses avocats, Mes Vincent Spira et Yaël Hayat, avaient plaidé l’acquitteme­nt en soulignant avec talent la faiblesse des indices, les incertitud­es des experts, les préjugés des enquêteurs et les mensonges d’anciennes amies dépeintes comme particuliè­rement manipulatr­ices. Pour la défense, la somme des éléments troublants devait sérieuseme­nt faire douter les juges. Il n’en a rien été. «On avait impérative­ment besoin d’un coupable pour apaiser les esprits. Nonobstant les failles du dossier, le tribunal a décidé que celui-ci était le bon», regrette Me Spira.

Du côté de l’accusation, le procureur Joël Schwarzent­rub, qui avait requis la prison à vie contre l’assassin d’enfant, n’a pas été suivi sur ce maximum. Le Ministère public a eu plus de succès avec la mesure d’internemen­t visant à prévenir une récidive de Kaleb, notamment envers des femmes vulnérable­s et dépendante­s. Cet homme «au coeur de pierre», tel que décrit par Me Robert Assaël, conseil des proches de la fillette, ira en appel pour contester l’arrêt qui fait de lui l’auteur de toutes ces atrocités.

Il a invité la mère de sa victime au restaurant juste après le crime

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La présidente Isabelle Cuendet lit un résumé du jugement. Debout, le prévenu.

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