Bruxelles contre-attaque les Etats-Unis
GUERRE COMMERCIALE Jyrki Katainen, vice-président de la Commission européenne, explique la réponse très politique de l’Europe, ajoutant qu’il n’est pas question de jeter de l’huile sur le feu. Il plaide pour un dialogue avec la Chine
Face aux attaques commerciales orchestrées par le président américain, Donald Trump, sur l’acier et l’aluminium, la contre-offensive européenne est officiellement lancée. La riposte est entrée en vigueur ce vendredi 22 juin, sous la forme de nouveaux droits de douane imposés sur une série de produits, tels le beurre de cacahuète, le bourbon, les jeans ou le fond de teint. «Nous avons choisi des produits à fort impact, économique et politique», assure le vice-président de la Commission européenne, Jyrki Katainen, dans une interview.
La liste, notifiée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), comprend un tiers de produits sidérurgiques, un tiers de produits industriels et un tiers de produits agricoles. Elle frappe des Etats qui ont largement voté pour Donald Trump. A quelques mois des élections de mi-mandat, qui auront lieu aux Etats-Unis en novembre, l’intention est claire.
«Les membres du Congrès américain, des deux partis, ne partagent pas forcément les vues du président, tout comme le secteur privé. Une fois que les mesures commenceront à faire effet, la pression va monter», explique Jyrki Katainen. Jusqu’à inciter la Maison-Blanche à faire marche arrière? «Nous l’espérons, même si cette administration reste hautement imprévisible.»
Un processus en deux temps
Les mesures de rétorsion correspondent, en valeur, au dommage infligé par les surtaxes américaines sur les exportations européennes d’acier et d’aluminium, soit un total de 6,4 milliards d’euros en 2017. Mais le processus se déroulera en deux temps. L’Union européenne (UE) a relevé, vendredi, ses droits de douane à 25% sur 2,8 milliards d’euros d’exportations américaines. Le solde de 3,6 milliards d’euros sera taxé plus tard, à l’issue d’un contentieux à l’OMC, dans un délai maximal de trois ans.
L’UE ne veut pas jeter d’huile sur le feu alors qu’un nouveau front est déjà ouvert. Fin mai, le président américain a demandé à ses services d’enquêter sur les importations américaines d’automobiles, au nom de la sécurité nationale. La même démarche que celle suivie pour l’acier et l’aluminium. La décision est censée tomber début 2019, mais à la Commission, certains n’excluent pas de la voir aboutir plus tôt, juste avant les élections de mi-mandat aux Etats-Unis en novembre. Un processus suivi avec beaucoup d’inquiétude tant les conséquences seraient lourdes pour l’industrie européenne, et notamment allemande.
«On ne voit pas comment les voitures peuvent être une menace pour leur sécurité nationale. Et s’ils décident de relever leurs droits de douane, nous n’aurons, à nouveau, pas d’autre choix que de réagir», prévient le vice-président de la Commission. Aucun détail n’est toutefois livré sur une potentielle liste de mesures de rétorsion. «On ne veut pas se battre sur Twitter ni via le grand public. Il faut arrêter l’escalade.»
Le défi de la cohésion pour l’UE
Si la bataille se concrétise, l’enjeu, pour l’UE, sera de conserver sa cohésion. Un défi, juge-t-il, tant l’administration américaine semble vouloir jouer des divisions du Vieux Continent. «C’est la première fois dans l’histoire que le président des Etats-Unis partage le point de vue du président russe: à savoir que plus l’Europe est fragmentée et faible, meilleur c’est», constate-t-il.
Les Européens affirment ne pas vouloir être durs uniquement avec Donald Trump. Car celui-ci apporte de «mauvaises réponses» en s’attaquant à ses alliés et en divisant le monde occidental, mais pose de «bonnes questions»: celles liées à la Chine sur les sujets de propriété intellectuelle, de transferts forcés de technologie, de subventions abusives à l’industrie.
Dialoguer avec la Chine
Ces questions doivent être abordées par Jyrki Katainen qui se rend à Pékin pour un «dialogue économique et commercial de haut niveau» lundi. «La Chine est devenue une économie plus mature aujourd’hui qu’il y a dix ans, cela signifie qu’il lui faut prendre plus de responsabilités et jouer selon les mêmes règles que tout le monde», affirme-t-il. L’objectif est de pousser les Chinois à accepter une réforme de l’OMC.
Pékin acceptera-t-il l’invitation des Européens à s’asseoir à la table des négociations? Depuis fin 2016 et le refus d’accorder à la Chine le statut d’«économie de marché», les canaux de communication étaient quasiment bloqués. A Bruxelles, on affirme que le ton est en train de s’apaiser, au moment où la situation s’envenime avec les Etats-Unis.
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