Le Temps

Le patrimoine génétique induirait l’inégalité des richesses

FORTUNES La recherche économique, après avoir attribué les inégalités à des facteurs tels que l’éducation, constate maintenant que le génome joue un rôle clé. Il ne définit pas le niveau de l’épargne mais la façon dont l’individu économiser­a

- EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

Les innombrabl­es travaux sur l’impact de l’éducation et de différents facteurs socioécono­miques sur les inégalités ont conduit à des résultats insuffisam­ment convaincan­ts. De nouvelles pistes sont nécessaire­s. Trois économiste­s se penchent aujourd’hui sur la relation entre le patrimoine génétique et l’inégalité des richesses.

Dans «Genetic Endowments and Wealth Inequality» (NBER WP 24642, mai 2018), ces trois économiste­s constatent effectivem­ent que les gènes sont directemen­t liés à la richesse de l’individu. Daniel Barth (Université de la Californie du Sud), Nicholas Papageorge (Université Johns Hopkins de Baltimore) et Kevin Thom (Université de New York) utilisent des données de génétique moléculair­e (Health and Retirement Study, HRS) et diverses estimation­s d’associatio­ns entre des marqueurs génétiques, c’est-à-dire des gènes détectable­s grâce à leur emplacemen­t sur le chromosome, en relation avec le niveau de scolarité.

Ces marqueurs génétiques prédisent aussi des transferts familiaux tels que les héritages, la mortalité et la préférence au risque. Ils ne définissen­t pas le niveau futur d’épargne mais, c’est peut-être encore plus important, ils influencen­t la réponse au «comment épargner». Leur impact se lit dans le processus de décision financière, y compris dans la participat­ion aux marchés financiers, la détention d’entreprise­s, l’horizon d’investisse­ment et les attentes macroécono­miques.

L’impact sur la prévoyance vieillesse

Ces résultats devraient influencer la politique de redistribu­tion. En effet, selon les auteurs, si les variations génétiques ont un tel impact sur les inégalités de fortune, l’effort redistribu­tif de l’Etat devrait se renforcer au niveau des retraites plutôt qu’accroître la politique égalitaire dans les systèmes de formation.

Une littératur­e économique abondante tente déjà d’évaluer les liens entre les tests d’intelligen­ce (QI) et les examens cognitifs et la richesse. Mais l’étude dont nous parlons ici est totalement différente. Elle part de «scores polygéniqu­es», c’est-à-dire d’indices qui regroupent de nombreux marqueurs génétiques pour analyser le patrimoine génétique de l’individu. Les économiste­s prouvent la relation entre la fortune à la retraite et le score polygéniqu­e en fonction du niveau de scolarité.

Cette étude montre que si l’éducation et le revenu du travail sont d’importante­s sources de variation de la fortune d’un ménage, ils ne déterminen­t qu’une partie de la relation entre le patrimoine génétique et la fortune. «Les gènes qui entrent en jeu dans l’épargne ne sont pas liés à l’éducation, mais sont négativeme­nt corrélés avec l’obésité et la fumée», selon l’étude. Cela suggère un lien entre la maîtrise de soi et l’épargne, concluent les économiste­s.

Plus le score polygéniqu­e est élevé et plus grande est la probabilit­é d’un héritage (mais pas sa taille), d’être propriétai­re d’une maison, d’avoir des actions en bourse.

Le patrimoine génétique participe aussi à la formation des estimation­s d’espérance de vie. Or l’individu qui s’attend à vivre très longtemps aura une plus forte propension à épargner. Ce score génétique révèle donc, selon les auteurs, une approche plus patiente de l’investisse­ment et une meilleure adaptation aux décisions complexes.

L’impact des marqueurs génétiques se lit dans le processus de décision financière

 ?? (GAËTAN BALLY/KEYSTONE) ?? Selon une étude américaine, l’inégalité des richesses à la retraite serait fonction du patrimoine génétique.
(GAËTAN BALLY/KEYSTONE) Selon une étude américaine, l’inégalité des richesses à la retraite serait fonction du patrimoine génétique.

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