Un disque pour sceller une passion retrouvée
Il y a des couples, et il y a des couples d'artistes. Et il y a, enfin, Beyoncé et Jay-Z. A ma gauche, la native de Houston, 36 ans, grandie dans le show-business, révélée à la fin du millénaire dernier au sein des Destiny's Child; à ma droite, l'enfant de Brooklyn, 48 ans, superstar du rap américain et entrepreneur affûté. Les Américains célèbrent cette année leurs noces d'étain et forment le couple le plus glamour/surmédiatisé/malin/sulfureux/ talentueux/agaçant/puissant (biffer ce qui ne convient pas) de l'industrie musicale.
En avril 2016, Beyoncé publiait Lemonade, son sixième album solo. Le disque est musicalement passionnant, politiquement engagé. La Texane y affirme son statut d'Afro-Américaine et de femme, surfe sur la vague #BlackLivesMatter et anticipe d'une certaine manière #MeToo. Elle y évoque aussi sa vie privée, se révélant en épouse adultère, trahie par un mari infidèle. Il y a une année, c'était au tour de Jay-Z d'offrir au monde un nouvel enregistrement, 4:44, le treizième. Le New-Yorkais y proposait une chanson, Family
Feud, littéralement «querelle familiale», qui le voyait se repentir, avant d'inviter sa femme pour un final réconciliateur. Une thérapie de couple offerte au monde, mais qui ne masquait pas une inspiration défaillante.
On pouvait alors lire ces deux disques comme un diptyque à la fois opportuniste dans sa manière de s'assurer une large couverture médiatique et intelligent – à l'heure des réseaux sociaux tout-puissants – dans son désir de donner une dimension people à une oeuvre artistique. Voici aujourd'hui la troisième étape d'un plan marketing joliment orchestré: Beyoncé et Jay-Z ont profité d'un concert londonien, le 16 juin, pour annoncer la sortie d'un album commun intitulé, pour mieux sceller leur amour retrouvé, EVERYTHING IS LOVE – en lettres capitales, pour plus d'impact encore. Et quoi de mieux, pour le titre APESHIT, qu'un clip tourné au Louvre parisien, symbole à la fois de haute culture et de romantisme éternel?
A ce stade demeure une seule question: quid de la musique de The Carters, du nom de famille officiel des mariés? Après une première écoute forcément conditionnée par la démarche, EVERYTHING IS LOVE dévoile neuf titres servant magnifiquement les voix de Beyoncé et de Jay-Z, quelques arrangements formidablement soul. Il n'y a là rien de trop ostentatoire. S'il devait ne rester qu'un morceau, ce serait BLACK EFFECT. Le couple y parle humanisme et fraternité, fierté noire et amour, tout en samplant un titre du Flower Travellin' Band, groupe pop psychédélique japonais formé en 1967… Je n'attendais rien de cet album, voilà que je l'écoute en boucle.