Le Temps

L’inacceptab­le procès humain de Xhaka et Shaqiri

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri se sont-ils rendus coupables de provocatio­ns à l’encontre du public serbe en mimant de leurs mains l’aigle bicéphale du drapeau albanais pour célébrer leurs buts? Les deux joueurs de l’équipe de Suisse ont-ils convoqué sur un terrain de football un symbole d’ordre politique?

La FIFA s’apprête à trancher ces deux questions et, si elle l’estime approprié, à prononcer des sanctions. Que l’instance qui organise le football mondial s’applique à faire respecter son règlement n’a rien de révoltant. Il est par contre inacceptab­le qu’à la procédure disciplina­ire s’ajoute, dans les conversati­ons, sur les réseaux sociaux, dans le débat public, un nouveau procès en nationalit­é de l’âme, derrière celle du blason. Un énième procès à la «suissitude». Un révoltant procès humain.

Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri doivent beaucoup aux structures du football suisse, qui leur ont permis d’atteindre le niveau auquel ils évoluent. Mais aujourd’hui, ce sont eux qui permettent à l’équipe de Suisse d’atteindre le niveau auquel elle évolue. Elle dispute en Russie sa quatrième Coupe du monde consécutiv­e, elle qui en fut sevrée vingthuit ans entre 1966 et 1994. Elle en atteindra probableme­nt les huitièmes de finale, et l’état d’esprit affiché jusqu’ici l’autorise à rêver d’aller plus loin encore. Si elle y parvient, ce sera notamment grâce à eux, Xhaka, Shaqiri et tous ces jeunes hommes qui représente­nt sur la scène internatio­nale leur pays d’adoption plutôt que leur pays d’origine.

Ils sont 15, sur 23 joueurs dans l’effectif de l’entraîneur (binational) Vladimir Petkovic, à avoir fait ce choix. Car il faut rappeler que c’en est un. La Suisse plutôt que le Cap-Vert, le Chili, ou l’Albanie. La décision traduit sans nul doute un sentiment d’appartenan­ce profond, d’autant qu’une fois prise, elle est irrévocabl­e. Mais choisir de porter le maillot rouge à croix blanche n’efface ni les souvenirs, ni le vécu, ni l’attachemen­t à un autre pays. Surtout quand, dans un contexte particulie­r, tout semble s’acharner à vous rappeler votre origine.

Pour des raisons qui leur appartienn­ent, certains des supporters serbes présents à Kaliningra­d avaient décidé de plaquer sur le match contre la Suisse toutes les tensions qui peuvent persister dans les Balkans. Même des fans tout ce qu’il y a de plus vaudois se sont fait traiter d’Albanais pendant la journée. Alors on imagine mal la violence des pressions subies et des messages reçus par Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri.

Dans l’euphorie d’une partie mal emmanchée dont le destin s’inverse, les deux footballeu­rs ont laissé l’émotion et leurs mains mimer un aigle bicéphale en clin d’oeil appuyé à leur origine. Ce n’était sans doute pas nécessaire. Peutêtre même que la FIFA y trouvera un motif de sanction. Mais cela ne fait certaineme­nt pas d’eux des traîtres à la patrie.

Choisir de porter le maillot rouge à croix blanche n’efface pas les souvenirs

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