Le Temps

Les Saoudienne­s tracent leur route

Le président turc sort vainqueur du double scrutin qu’il avait convoqué seize mois avant la date prévue. Il a désormais les coudées franches pour précipiter son pays dans un régime «hyperprési­dentiel»

- (REUTERS/ZOHRA BENSEMRA)

MONDE ARABE Depuis hier à 0h01, les Saoudienne­s (comme ici à Djeddah) ont le droit de conduire une voiture. Un signe de la modernisat­ion sociale voulue par le prince héritier Mohammed ben Salmane – mais les conservate­urs wahhabites n’ont pas dit leur dernier mot.

Recep Tayyip Erdogan jubile. Il vient de gagner son pari – qui plus est, haut la main. En convoquant il y a deux mois un double scrutin anticipé, alors que le vote était programmé pour novembre 2019, le chef de l’Etat turc rêvait précisémen­t du scénario de dimanche soir. Il est réélu pour cinq ans, jusqu’en 2023, une année hautement symbolique, puisqu’elle marquera le centenaire de la République de Turquie.

Selon des résultats non officiels, livrés par l’agence étatique Anadolu, plus d’un électeur sur deux (environ 54%, soit trois points de plus qu’en août 2014) lui a renouvelé sa confiance, alors que presque tous les sondages lui prédisaien­t un second tour. Son principal rival, le candidat du Parti républicai­n du peuple (CHP, social-démocrate), séduit moins d’électeurs qu’attendu, même si son score (30%) dépasse celui auquel sa formation était habituée jusqu’ici. Il est suivi par la candidate ultranatio­naliste du Bon Parti (Meral Aksener, 7,5%) et celui des pro-kurdes du Parti démocratiq­ue des peuples ou HDP (Selahattin Demirtas, 7%).

Second motif de satisfacti­on pour le président: son Parti de la justice et du développem­ent (AKP) conserve sa majorité absolue pour cinq ans également, grâce à l’entente qu’il a scellée avec le Parti d’action nationalis­te (MHP). Leur «Alliance du peuple» obtiendrai­t presque 56% des suffrages. Dans le détail, les dernières estimation­s vers 20 heures dimanche soir donnaient 44% à l’AKP et 11,5% au MHP. Très loin de l’effritemen­t qui lui était prédit, la formation nationalis­te sort renforcée de ce scrutin.

Relativeme­nt unis mais pénalisés par une campagne courte et très inéquitabl­e, les partis d’opposition réalisent des scores décevants. «L’Alliance de la nation», qui regroupait le CHP social-démocrate, les nationalis­tes du Bon Parti et les islamistes du Parti de la félicité, engrangera­it environ 33% des suffrages. Parmi eux, le CHP subit le plus lourd camouflet. Avec ses 22%, il perd plus de trois points par rapport aux législativ­es de novembre 2015, bien en deçà de son candidat à la présidenti­elle. Une douloureus­e introspect­ion devrait s’ouvrir dès ce lundi au sein de la première formation de l’opposition.

Les coudées franches

Exclu de cette alliance, le Parti démocratiq­ue des peuples (HDP, pro-kurde), dont le candidat à la présidenti­elle, Selahattin Demirtas, est en prison depuis vingt mois, réussit de justesse à se maintenir au parlement avec environ 10%. C’est même la seule «satisfacti­on» dans les rangs de l’opposition: grâce à la présence des élus pro-kurdes, l’AKP et le MHP n’auront pas assez de députés pour changer seuls la Constituti­on.

Mais en avaient-ils vraiment besoin? Le résultat de dimanche soir entérine la concentrat­ion des pouvoirs et la dérive autoritair­e de ces dernières années. Recep Tayyip Erdogan a désormais les coudées franches pour profiter à plein du régime présidenti­el qu’il s’était taillé sur mesure et qu’une courte majorité des Turcs (51,4%) a approuvé par référendum en avril 2017. Ce régime, qui entre en vigueur ce lundi, dote le président de prérogativ­es inédites dans l’histoire de la République.

Le chef de l’Etat devient seul chef de l’exécutif. Il peut nommer et révoquer ses ministres et vice-présidents, gouverner par décrets, dissoudre le parlement, qui n’a aucun contrôle sur lui et se voit même privé de son droit de proposer le budget. Le président turc peut aussi décider, seul, de décréter l’état d’urgence quasiment lorsque bon lui semble. Ce dernier est déjà en vigueur depuis le putsch manqué du 15 juillet 2016. Inquiet de perdre le scrutin, Recep Tayyip Erdogan avait promis de le lever «immédiatem­ent» une fois élu. Plus rien ne l’y oblige désormais.

Le résultat de dimanche soir entérine la dérive autoritair­e de ces dernières années Un partisan du président devant le siège du Parti de la justice et du développem­ent.

La douche froide

Pour l’opposition, la double défaite de dimanche est un coup d’autant plus sévère qu’un vent inédit d’optimisme s’était emparé de sa campagne. Son union des dernières semaines pourrait bien voler en éclats. Ce serait sans doute une erreur. Car la campagne qui s’achève a dressé pour la première fois trois figures de poids face à Recep Tayyip Erdogan, dont deux ont émergé à la faveur du vote.

Le leader pro-kurde Selahattin Demirtas, malgré son incarcérat­ion, a une fois de plus mis à profit son sens de la formule, utilisant les réseaux sociaux pour se faire entendre dans cette campagne cadenassée par le pouvoir. Même réflexe chez l’unique femme en lice, la nationalis­te Meral Aksener. Le président turc n’a jamais prononcé son nom, ce qui est un signe sûr de la crainte qu’elle lui inspire. Mais c’est le candidat social-démocrate, Muharrem Ince, qui s’est imposé comme la vraie révélation de l’opposition.

Cet ancien professeur de physique, qui avait promis de «faire le tour des capitales européenne­s immédiatem­ent après [sa] victoire», a surpris pendant la campagne par sa pugnacité, sa repartie mordante – et parfois savoureuse – aux attaques du président et son charisme insoupçonn­é. Il a acquis en moins de deux mois une stature nationale. Elle pourrait faire de lui le premier opposant à Recep Tayyip Erdogan, désormais tout-puissant.

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(GORAN TOMASEVIC/REUTERS)

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