La gestion de fortune défend bien ses marges
En 2017, les banques privées genevoises ont encaissé des marges brutes stables ou en hausse, selon nos estimations. Même si les très grandes fortunes négocient leurs tarifs à la baisse.
Près de dix ans après l’abandon du secret bancaire, la gestion de fortune suisse est devenue une industrie «normale». Privée de ce considérable avantage compétitif et des confortables marges qu’il assurait, elle fait face à davantage de concurrence et doit abaisser ses coûts tout en investissant. Beaucoup craignaient que cette plongée dans la vraie vie provoque un carnage parmi les banques privées suisses. Quelque 64 d’entre elles ont d’ailleurs disparu entre 2005 et 2015, selon KPMG, mais l’activité reste rentable pour celles qui se sont adaptées parmi les 117 établissements toujours actifs, comme le montrent nos chiffres sur les principaux établissements genevois.
Après une année 2017 porteuse sur les marchés, les affaires des plus grandes banques de gestion de fortune se sont développées à Genève. Les avoirs qu’elles gèrent ont progressé, de +6% (à l’UBP) à près de +17% (Edmond de Rothschild), atteignant parfois des sommets historiques (Pictet a dépassé la barre des 500 milliards d’avoirs l’an dernier). Les afflux nets de fonds ont été positifs, à deux exceptions près. Les bénéfices nets ont crû entre 13 et 28% l’an dernier et les chiffres reflètent un sérieux effort sur la maîtrise des coûts. Enfin, la rentabilité des capitaux propres reste élevée, comprise entre 10 et 22% – à une exception près.
Progression des marges brutes
Au niveau des marges sur les avoirs gérés, l’année 2017 a marqué une progression ou une stabilité. Leur calcul n’est pas forcément facile, puisque tous les établissements ne dévoilent pas la répartition des actifs qui leur sont confiés, entre ceux qui sont gérés et ceux qui sont simplement déposés (et donc nettement moins rentables). Nous avons donc procédé à des estimations.
L’an dernier, les marges nettes des banques de notre échantillon se sont échelonnées entre 0,06% (Rothschild) et 0,18% (UBP). Elles correspondent à ce qui reste pour les actionnaires, une fois que toutes les charges ont été déduites (bénéfice net divisé par la masse sous gestion). Comme l’année précédente, Mirabaud affiche la marge brute la plus élevée, juste en dessous de 1%.
Cet indicateur du rapport entre les revenus avant impôts et la masse sous gestion, très observé dans l’industrie bancaire, donne aussi une indication sur la composition des actifs gérés, entre gestion privée et gestion d’actifs. Avec des marges de l’ordre de 0,4%, contre plutôt le double en gestion privée, une importante activité de gestion d’actifs tend à pousser la marge brute d’une banque vers le bas.
C’est ce qui explique probablement que celle de Pictet ne figure pas parmi les meilleures, à 0,68%, alors que la banque est très bien placée sur la marge nette. Selon nos estimations, l’activité d’asset management représente 192 milliards de francs d’actifs chez Pictet, contre 200 milliards pour la gestion privée. Au niveau national, la marge brute moyenne a atteint 0,77% l’an dernier, contre 0,91% en 2013, selon une récente étude de BCG, qui établit aussi que les coûts ont suivi une évolution similaire.
Mix des activités
Chez Lombard Odier, la marge brute est également influencée par le mix d’activités. Le groupe affichait fin 2017 50 milliards d’avoirs en gestion d’actifs mais aussi 88 milliards dans les services technologiques et bancaires (+29 milliards sur un an). La banque loue en quelque sorte sa plateforme informatique à d’autres établissements et comptabilise les avoirs concernés dans ses chiffres.
On note enfin que les deux grands établissements de la place se distinguent par des ratios de rémunération très différents: les coûts liés aux collaborateurs représentent 50,5% des revenus chez Pictet contre 62,7% chez Lombard Odier.
En comparaison, les divisions de gestion de fortune de Credit Suisse et d’UBS affichent des marges brutes respectives de 1,11% et 0,72%, selon nos calculs. Le chiffre d’UBS (qui exclut le wealth management aux Etats-Unis) peut s’expliquer par sa forte croissance sur le segment des très grandes fortunes d’Asie ou des pays émergents, qui peuvent négocier des commissions plus basses.
Croissance moins rentable
On retrouve ici une tendance de fond pour toutes les banques de gestion suisses. La plus forte croissance s’effectue auprès des très grandes fortunes. Ces clients sont souvent représentés par des professionnels qui négocient massivement les tarifs et organisent des beauty contests pour choisir leur(s) banque(s). Ce qui se traduit par une tendance structurelle à la baisse des marges brutes. Et explique que les établissements doivent continuer à réaliser des économies.
«Les économies les plus évidentes ont déjà été faites s’agissant du modèle traditionnel des banques privées, analyse Beresford Caloia, associé responsable de l’audit bancaire chez PwC à Genève. Le prochain bond en avant dans ce domaine se fera grâce à la technologie.»
En comparaison internationale, les banques suisses continuent à avoir un avantage sur la qualité du service, le professionnalisme – parfois bien aidées par le niveau des autres places financières. Elles ont aussi mis en place de nouveaux processus de travail pour répondre à l’inflation réglementaire des dix dernières années, qui a beaucoup gonflé les frais généraux. «Mais à chaque fois qu’on a l’impression de sortir la tête de l’eau, d’autres lois arrivent et nous devons à nouveau investir; ce n’est pas comme si nous avions suffisamment investi pour les vingt prochaines années…» regrette un responsable informatique genevois.
Solidité élevée
Cette double nécessité d’économiser tout en investissant se traduit par des ratios charges/revenus (cost/income ratios) souvent élevés dans notre échantillon, supérieurs à 80% chez Lombard Odier et Mirabaud ou même à 86% chez Rothschild, par exemple. Deux bonnes nouvelles néanmoins: le gros de l’inflation des coûts est déjà passé et la tendance est à la progression des revenus, ce qui améliorera les ratios CIR.
Dans ce contexte complexe, chaque acteur choisit sa stratégie. «Certains se sont recentrés sur leur métier de base, en misant sur la qualité du service, en particulier avec une expérience numérique, et l’excellence opérationnelle, reprend Beresford Caloia, de PwC. D’autres ont choisi de diversifier leur modèle d’affaires et leurs sources de revenus, par exemple en utilisant leur bilan pour offrir davantage de crédit ou pour se lancer dans le crédit commercial, ou encore en diversifiant leur offre avec, par exemple, le corporate finance, le private equity ou encore les cryptomonnaies. La digitalisation des services offerts aux clients est également une priorité. Les différents établissements sont plus ou moins avancés dans cette transformation.»
L’absence d’activité de crédit se reflète dans les ratios de solvabilité, particulièrement élevés au sein des banques genevoises (jusqu’à 27% chez UBP et Rothschild, 26% chez Lombard Odier, supérieur à 20% chez Pictet et Mirabaud). Mais de l’ordre de 17% pour Julius Baer, qui fait figure de référence suisse parmi les acteurs qui ne font que de la gestion privée, et qui accorde davantage de crédits que ses concurrents.
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La clientèle des très grandes fortunes est celle qui progresse le plus vite. C’est aussi celle qui négocie le plus les frais