1919-2019: Genève devient une ville internationale
A l’issue de la très destructrice Première Guerre mondiale, le président des EtatsUnis Woodrow Wilson propose la création d’une «association internationale des nations» chargée de protéger la paix. En février 1919, le traité de Versailles fonde les bases de la Société des Nations (SdN), ancêtre de l’ONU, à laquelle s’ajoute, pour faire droit aux revendications du mouvement ouvrier, une Organisation internationale du travail (OIT). Dans le courant de l’année 1920, les deux nouvelles organisations se réunissent pour la première fois à Genève, élevant la petite cité helvétique au rang de «ville internationale». Selon le mythe diffusé par Robert de Traz, cette vocation internationale viendrait naturellement consacrer «l’esprit de Genève», marqué par une tradition de tolérance et d’hospitalité.
Mais les mythes sont trompeurs et Genève ne serait jamais devenue «capitale internationale» sans un contexte favorable et l’engagement décidé de diverses personnalités. D’autres villes sont alors en effet sur les rangs, dont Bruxelles, qui jouit du soutien des autorités françaises. Genève a de son côté celui des Anglais et de Wilson. La Cité de Calvin séduit le président, fils d’un pasteur presbytérien; la réputation de capitale humanitaire acquise grâce à l’engagement du CICR et des Croix-Rouges durant la guerre est également invoquée, mais ce sont surtout les arguments diplomatiques qui emportent la conviction des membres de la commission de la SdN. Ils voient dans la localisation suisse un gage d’indépendance par rapport aux grandes puissances européennes et une main tendue aux vaincus.
Enfin, l’engagement de William Rappard est décisif. Né à New York en 1883, il a enseigné à Harvard en 1912 et a rencontré Wilson en 1917. En 1919 il est professeur de sciences économiques à l’Université de Genève et membre du CICR, envoyé comme représentant officieux de la Suisse à la Conférence de la paix de Paris, il s’y engage résolument en faveur du choix de Genève. Outre les alliés, il doit d’ailleurs convaincre les autorités politiques et militaires helvètes qui, au nom de la neutralité suisse, hésitent à rejoindre la SdN, une abstention qui aurait largement compromis le choix de Genève. En partie grâce à Gustave Ador, le Conseil fédéral propose toutefois l’adhésion de la Suisse à la nouvelle organisation le 9 août 1919. Elle est ratifiée, sans enthousiasme d’ailleurs (56%), par un référendum populaire le 16 mai 1920.
C’est également sans enthousiasme que les premiers fonctionnaires internationaux s’installent à Genève, une ville qu’ils jugent peu dynamique, chère et mal équipée pour les recevoir. En retour ils font d’ailleurs l’objet d’une défiance immédiate de la part d’une partie de la population, au point qu’il leur est parfois difficile de trouver à se loger. La société internationale s’organise ainsi en développant ses propres lieux de sociabilité.
Néanmoins, les autorités suisses et genevoises sont quant à elles très conscientes de l’intérêt économique et diplomatique de la présence des organisations internationales
C’est sans enthousiasme que les premiers fonctionnaires internationaux s’installent à Genève, une ville qu’ils jugent peu dynamique, chère et mal équipée
sur leur sol, et développent donc des mesures pour pérenniser leur présence. Grace à des dons de parcelles, l’OIT peut dès 1926 s’installer dans un immeuble propre, actuel siège de l’OMC, tandis qu’en 1937 le Palais des Nations est inauguré en grande pompe.
La Genève internationale connaîtra un formidable essor avec le développement du système onusien (Unesco, OMS, OMM, UIT, etc.) et du multilatéralisme (CERN, OMC, ISO, etc.). Elle compte aujourd’hui 34 organisations internationales (OI), plus de 250 représentations d’Etats et près de 400 organisations non gouvernementales. Les seules OI ont engagé des dépenses pour 6 milliards de francs en 2016. En sus des retombées financières directes, cet écosystème fait aujourd’hui partie de l’ADN de cette ville et participe fondamentalement de son attractivité politique, scientifique, économique et culturelle.
A l’heure où la première puissance mondiale remet radicalement en question la gouvernance de ce bas monde, il serait opportun que nos autorités municipales, cantonales et fédérales, en lien avec l’ensemble des acteurs publics et privés concernés, saisissent l’occasion du centenaire de cette Genève internationale pour la valoriser.
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