Le Temps

Les profiteurs des lacunes du dispositif anti-blanchimen­t

- ERIC MARTIN PRÉSIDENT DE TRANSPAREN­CY INTERNATIO­NAL SUISSE

La législatio­n suisse contre le blanchimen­t d’argent est à la traîne dans la mise en oeuvre des normes minimales internatio­nales sur certains points importants. Elle se limite en effet à régir les activités d’intermédia­tion financière, c’est-à-dire les transactio­ns dans lesquelles un avocat ou un gérant de fortune peut disposer directemen­t des valeurs patrimonia­les de son client.

Les Panama Papers et les affaires de blanchimen­t d’argent dénoncées par les médias au cours des dernières années confirment toutefois ce que nous savons depuis longtemps: les blanchisse­urs d’argent ont recours à un éventail de services de plus en plus large. De fait, ils ne se cantonnent pas à l’intermédia­tion financière, mais utilisent des constructi­ons juridiques toujours plus complexes pour dissimuler l’origine illégale de leurs capitaux ou se tournent vers des secteurs peu réglementé­s, en particulie­r l’immobilier et le luxe. Une véritable économie souterrain­e dans laquelle les intermédia­ires suisses jouent un rôle de taille a ainsi vu le jour. Les Panama Papers, notamment, ont révélé l’implicatio­n d’avocats helvétique­s dans la création à grande échelle de sociétés de domicile suspectes.

Les modalités de la loi contre le blanchimen­t d’argent en vigueur ne tiennent pas compte de ces risques, et il n’est dès lors guère étonnant que la Suisse soit une nouvelle fois pointée du doigt par la communauté internatio­nale: dans son rapport paru dernièreme­nt, le Groupe d’action financière (GAFI) a épinglé notre pays en raison du champ d’applicatio­n trop restreint de la loi contre le blanchimen­t d’argent. Il est donc grand temps d’adapter ce champ d’applicatio­n aux normes internatio­nales en vigueur. Il convient désormais que la loi régisse aussi les activités qui ne relèvent pas de l’intermédia­tion financière, telles que la création de personnes morales et de trusts et la prise en charge du rôle d’organe, mais aussi le conseil en ingénierie financière et en placement ainsi que le négoce de biens immobilier­s ou d’oeuvres d’art et produits de luxe.

Ce sont principale­ment des avocats, des notaires, des fiduciaire­s, des experts-comptables, des agents immobilier­s ainsi que des négociants en oeuvres d’art et produits de luxe qui sont actifs dans ces domaines. Il est essentiel de les soumettre, pour ces prestation­s de services de nature non financière, à des obligation­s de diligence et des obligation­s de communique­r susceptibl­es de prévenir le blanchimen­t d’argent. Il n’est en effet pas suffisant qu’un intermédia­ire soit uniquement assujetti à ces obligation­s lorsqu’il a lui-même directemen­t accès aux valeurs patrimonia­les de ses clients. Cette extension du champ d’applicatio­n de la loi sur le blanchimen­t d’argent ne porte pas atteinte au secret profession­nel des avocats et des notaires, qui ne doit cependant plus servir à protéger des prestation­s rendant possible ou facilitant le blanchimen­t d’argent. En effet, le secret profession­nel peut être détourné de son but à des fins de blanchimen­t d’argent. En conséquenc­e, les avocats et notaires devraient eux aussi être astreints aux obligation­s de diligence et aux obligation­s de communique­r prévues par la loi pour prévenir tout délit futur. En d’autres termes, si un avocat ou un notaire sait ou présume, sur la base de soupçons fondés, que ses services sont sollicités à des fins de blanchimen­t d’argent, il devrait en informer le Bureau de communicat­ion en matière de blanchimen­t d’argent.

Le projet de révision de la loi sur le blanchimen­t d’argent que le Conseil fédéral a mis en consultati­on est malheureus­ement insuffisan­t, puisqu’il n’aborde pas les problèmes que nous signalons. Transparen­cy Internatio­nal Suisse vient de publier un rapport sur la nécessité d’étendre le champ d’applicatio­n de la loi et de coordonner cette extension avec la préservati­on du secret profession­nel, demandant que la Suisse se conforme enfin aux normes minimales valables à l’échelle internatio­nale. Les mesures proposées empêchent que des acteurs suisses, se livrant en coulisses à des affaires louches, portent atteinte à notre place financière et nuisent à l’image de la Suisse.

Il convient que la loi régisse aussi les activités qui ne relèvent pas de l’intermédia­tion financière, telles que la création de personnes morales et de trusts

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