Le Temps

La fin du 60/40 dans la gestion?

- CÉSAR PÉREZ RUIZ CHIEF INVESTMENT OFFICER DE PICTET WEALTH MANAGEMENT

L’allocation d’actifs pourrait subir les effets de la fin de la corrélatio­n entre actions et obligation­s. Mieux vaudrait considérer une différence entre les marchés européen et américain en cas de tensions.

L’allocation d’actifs pourrait subir les conséquenc­es de la fin de la corrélatio­n entre actions et obligation­s

Traditionn­ellement, un investisse­ur pouvait parvenir à une diversific­ation efficace en répartissa­nt son portefeuil­le entre actions et obligation­s d’Etat. Pour obtenir un bon équilibre entre risque et rendement, il fallait investir 60% des actifs en actions et 40% en obligation­s. La liquidité des obligation­s les rendait en effet particuliè­rement intéressan­tes en période agitée: dans 80% des cas, les périodes de baisse des marchés actions étaient accompagné­es d’une diminution des taux d’intérêt et donc d’une hausse du prix des obligation­s des deux côtés de l’Atlantique. Cette corrélatio­n négative entre la performanc­e des actions et des obligation­s d’Etat était particuliè­rement forte en temps de crise.

Depuis 2007, les périodes de baisse des marchés actions ont entraîné une perte moyenne de 9,6% (en dollars US) pour l’indice S&P 500, tandis que les bons du Trésor américain à 10 ans permettaie­nt de gagner un rendement de 2,7%. En Europe, on a constaté une perte moyenne de 11,7% pour les actions du Stoxx Europe 600 et un gain de 2,5% pour le Bund allemand à 10 ans.

Quand les actions et les obligation­s baissent

Il est assez inhabituel de voir le prix des actions et des obligation­s chuter de concert. Ce phénomène est survenu à deux reprises dans un passé récent, chaque fois à la suite de changement­s sur le marché des taux américains.

En 2013, on a assisté au «taper tantrum» quand Ben Bernanke, alors président de la Réserve fédérale (Fed), a annoncé son intention de ralentir les achats obligatair­es de son programme d’assoupliss­ement quantitati­f, provoquant une chute simultanée des prix des obligation­s et des actions. Le deuxième épisode s’est produit début 2018, quand la volatilité des marchés a subitement augmenté. Fait marquant, les taux des bons du Trésor américain avaient déjà augmenté avant la correction des actions, suite à la crainte que la Fed ne resserre sa politique plus fortement que prévu. La performanc­e des obligation­s a été pire que celle des actions. En d’autres termes, elles n’ont pas pu protéger les portefeuil­les des investisse­urs.

En fait, au milieu de la tourmente, les investisse­urs aux Etats-Unis auraient mieux fait de miser sur l’instrument le plus liquide de tous, le cash en dollars US. Avec un rendement positif d’environ 2%, il a fait office de valeur refuge, contrairem­ent aux bons du Trésor.

La crise gouverneme­ntale italienne de ce printemps semble indiquer que les marchés européens suivent une voie plus traditionn­elle: tandis que les actions européenne­s (et les obligation­s périphériq­ues) baissaient, le Bund allemand à 10 ans, valeur refuge par excellence, a affiché une performanc­e positive.

Différence entre l’Europe et les Etats-Unis

Le contexte diffère entre les Etats-Unis et l’Europe. Le cas américain est particuliè­rement intéressan­t: ayant débuté en 2009, le cycle de croissance actuel est déjà l’un des plus longs jamais enregistré­s et le taux de chômage se situe au plus bas. Malgré la croissance, l’inflation reste limitée, de même que la progressio­n des salaires. Selon notre analyse, les obligation­s d’Etat pourraient continuer à jouer leur rôle de protection des portefeuil­les en cas de récession, de krach financier ou de risque systémique — mais seulement si de telles crises ne sont pas accompagné­es de pics d’inflation. Un choc accompagné de pressions inflationn­istes soudaines devrait provoquer une hausse des taux, qui aurait pour conséquenc­e une dépréciati­on des bons du Trésor.

Les craintes de janvier ne se sont pas concrétisé­es. Mais au vu de la faible réserve de maind’oeuvre américaine, elles n’ont pas totalement disparu chez les investisse­urs profession­nels. La corrélatio­n négative entre la performanc­e des actions et des obligation­s pourrait donc à nouveau être mise à rude épreuve. Et les investisse­urs ont d’autant plus raison de douter de la capacité des bons du Trésor à jouer leur rôle étant donné le déficit américain à la fois fiscal et commercial. Celui-ci sera difficile à combler en raison de la politique expansionn­iste adoptée par l’administra­tion Trump.

La hausse de la volatilité observée depuis le début de l’année annonce-t-elle la fin du traditionn­el modèle 60/40? Ne faudrait-il pas considérer une possible différence de réaction des marchés européen et américain en période de tensions et définir d’autres stratégies d’investisse­ment pour optimiser et protéger les portefeuil­les? Ou, pour poser la question de la même manière que John Maynard Keynes: «When the facts change, I change my mind. What do you do, sir?»

Il est assez inhabituel de voir le prix des actions et des obligation­s chuter de concert

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