Le Temps

«Les années difficiles sont devant nous»

Edmond de Rothschild, après un travail sur ses structures, entend se développer, notamment en Asie, révèle Emmanuel Fievet, président de la direction générale d’Edmond de Rothschild (Suisse). La tendance est positive pour la clientèle européenne

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL GARESSUS @garessus

Edmond de Rothschild, après un travail sur ses structures, entend se développer, notamment en Asie, révèle Emmanuel Fievet, président de la direction générale d’Edmond de Rothschild (Suisse).

La banque Edmond de Rothschild (Suisse) travaille depuis des années à la simplifica­tion des structures. Ses résultats 2017 traduisent une améliorati­on, avec une hausse de 30% du bénéfice, mais aussi un bas niveau de rentabilit­é (6%). Emmanuel Fievet, directeur général, s’exprime sur la capacité d’une entreprise familiale porteuse d’une grande tradition, au sein d’un groupe qui gère 182 milliards de francs d’actifs (2017), contre 163 milliards deux ans auparavant, à se développer dans un contexte de montée en puissance de l’Asie et de l’accélérati­on du progrès technologi­que.

Les fortunes sous gestion augmentent plus fortement que les revenus dans votre branche. Comment allez-vous relever le défi de la baisse des marges? L’offre au client et la différenci­ation de la concurrenc­e sont au coeur de notre réponse. Nous avons réalisé un gros travail de simplifica­tion de nos structures, de réflexion sur l’allocation de nos ressources et notre stratégie commercial­e pour plus d’efficacité. Nous avons aussi travaillé sur le contenu pour nous distinguer du marché, avec par exemple trois acquisitio­ns dans la gestion d’actifs immobilier­s. Nous gérons une dizaine de milliards d’actifs dans ce domaine, contre moins d’un milliard il y a cinq ans. Nous avons également continué de développer le capital-investisse­ment (private equity) et sommes l’un des rares établissem­ents à l’avoir conservé à l’interne parce que notre approche dans ce domaine est différenci­ante.

«Le big data, c’est bien, mais la communicat­ion intuitu personae avec le client, c’est encore mieux.»

Malgré ces efforts, la rentabilit­é est modeste (6,3%) et l’argent frais stagne, tandis que les acquisitio­ns que vous mentionnez concernent la gestion d’actifs. Est-ce que ces efforts sont suffisants? La performanc­e d’aujourd’hui et de demain est déterminée par les actions prises hier et avant-hier. La priorité a été accordée ces dernières années à l’établissem­ent des fondations d’un groupe fort. En termes de structures, nous avons mis fin à la forte indépendan­ce des filiales et sommes un groupe plus cohérent. L’améliorati­on de la rentabilit­é résulte d’un travail structuran­t sur la durée et non pas d’une ou deux actions à court terme.

Nos fondations vont nous permettre de gérer sereinemen­t les prochaines années, dans un contexte de concurrenc­e plus forte. La priorité de nos actionnair­es et de notre conseil d’administra­tion consiste à investir pour nous préparer à ces défis.

Est-ce que vous avez perdu du temps dans ce réaménagem­ent des structures, si l’on sait que, selon BCG, ce sont les banques de gestion qui ont investi dans la croissance qui présentent la meilleure rentabilit­é? Les montants des encours sous gestion résultent de décisions stratégiqu­es. Nous ne pensons pas que la fuite en avant par des acquisitio­ns est une réponse aux problèmes structurel­s de notre industrie. Nous voulons absolument créer un groupe cohérent autour d’une marque forte avec une offre différenci­ante. Cela nous permettra de gagner à long terme. Dans notre industrie, les années difficiles sont devant nous et non pas derrière nous.

Nous sommes dans la phase de finalisati­on de ce renforceme­nt des fondations de groupe. Nous allons maintenant redéployer notre énergie pour le développem­ent des affaires. Cela peut comprendre des acquisitio­ns en Suisse ou ailleurs. Mais au final, notre obsession n’est pas tant la taille que la performanc­e et l’innovation.

Pourquoi dites-vous que les années difficiles sont devant nous? Le fardeau réglementa­ire ne va pas s’alléger pour le secteur. Nous sommes tous en train de traiter le dossier MiFID II. La technologi­e poursuit aussi son développem­ent extrêmemen­t rapide. De plus, les marchés financiers ne sont sans doute pas au début d’un cycle, si l’on considère leur valorisati­on. Enfin, la compétitio­n est de plus en plus agressive.

Quelle est votre propositio­n différenci­ante? La marque? Notre positionne­ment est celui d’une maison d’investisse­ment de conviction, que ce soit pour notre clientèle institutio­nnelle, nos partenaria­ts stratégiqu­es ou nos clients privés. Nous sommes une maison de gestion active et non pas passive. Nos stratégies d’investisse­ment sont très ciblées. De plus, si vous considérez l’histoire de la famille Rothschild et la profondeur d’activité du groupe, aux niveaux bancaire et non bancaire (philanthro­pie, vin, art de vivre, voile), nous sommes différents et uniques. Notre travail et notre mission, c’est de mettre en valeur cet univers, qui est très riche en expertise, et de l’offrir au client. Nous faisons de la voile de compétitio­n pour tester la technologi­e, de nouveaux modes de management; pour nous c’est une recherche d’excellence et un laboratoir­e d’innovation­s. Nous aimons être pionnier. Depuis plus de dix ans, nous sommes investis dans des stratégies durables. Plus de 95% de nos stratégies de private equity répondent aux exigences d’investisse­ment responsabl­e. La gestion durable se monte à 8 milliards de francs. Ces conviction­s sont assumées de manière très tangible et concrète par nos actionnair­es. L’alignement d’intérêts et la notion de co-investisse­ment ne sont pas du marketing mais la réalité depuis longtemps au sein du groupe. Comme disent les Anglais: «We eat our own cooking» (Nous investisso­ns notre propre argent avec vous).

La marque, l’histoire, la profondeur d’activité, la taille et les fondamenta­ux, c’est cela qui fait notre différence. Notre travail au quotidien consiste à mettre tout cela à dispositio­n des clients.

N’est-ce pas inquiétant de voir le marché de l’investisse­ment par conviction décliner sensibleme­nt par rapport à la gestion passive? Non. D’autant que depuis 2018, nous assistons à un changement de tendance favorable à la gestion de conviction. Plus il y aura de la gestion passive partout et plus il sera facile de se différenci­er, à condition, bien sûr, de présenter une performanc­e de qualité sur la durée. La gestion qui disparaîtr­a est celle qui se dit active mais qui ne l’est pas vraiment parce qu’elle est trop alignée sur les indices de référence.

Est-ce vraiment en train de disparaîtr­e puisque les grandes banques, vu leur taille, sont obligées d’être proches des indices? Or les grandes banques continuent de croître, non? Il faut distinguer entre vouloir et pouvoir. Les grandes banques ne peuvent pas s’éloigner des indices. Notre taille est également un avantage: nous pouvons aisément lancer un thème d’investisse­ment qui ne vise que 100 millions de francs si nous pensons qu’il créera de la valeur pour nos investisse­urs. Les grands acteurs ne s’embêtent pas à émettre un fonds de cette taille.

Les consultant­s affirment que les banques, malgré le big data et les techniques d’analyse avancée, négligent leurs clients et n’offrent que des solutions standardis­ées. Est-ce que vos solutions sont sur mesure? La connaissan­ce du client est le vrai avantage d’une banque privée. Sans ce travail en amont, il est très difficile d’atteindre les objectifs définis. Le big data sert à peaufiner cette connaissan­ce et à simplifier cette collecte d’informatio­ns. Toute l’intelligen­ce issue du big data participe au processus décisionne­l, mais rien ne se substitue au contact et aux discussion­s avec le client sur ses priorités et ses préférence­s sur le moyen et le long terme, ainsi que son appétence et sa capacité à prendre des risques. Le big data, c’est bien, mais la communicat­ion intuitu personae avec le client c’est encore mieux.

Est-ce que cette relation ne change pas avec la montée en force du mandat de conseil (Advisory)? Au sein de notre offre différenci­ante, nous avons la chance d’avoir un taux de gestion discrétion­naire bien au-delà de la moyenne de l’industrie. Les mandats discrétion­naires dépassent 30% du total. Nous avons déployé beaucoup de ressources dans celle-ci. Nous avons rapproché les équipes de gestion institutio­nnelle avec celles de gestion privée pour être toujours plus pointus et performant­s. Si nous avons un taux de pénétratio­n supérieur à l’industrie, c’est en vertu de notre performanc­e sur la durée et de notre offre sur mesure.

«Notre obsession n’est pas tant la taille que la performanc­e et l’innovation»

«La tendance est donc positive pour la clientèle européenne qui a son compte en Suisse»

Est-ce que l’«Advisory» n’est pas la réponse à MiFID II? Non, c’est le contraire. Le discrétion­naire est la réponse à MiFID II. Avec l’«Advisory», la banque doit accomplir un travail administra­tif considérab­le, avant, pendant et après une transactio­n. Historique­ment, plus les marchés montent et plus les banques investisse­nt dans l’«Advisory». La réglementa­tion favorise plutôt le discrétion­naire.

Est-ce que la clientèle européenne revient? La clientèle européenne n’est jamais partie. Elle connaît et reconnaît la valeur des fondamenta­ux de la Suisse. Dans un monde court-termiste et incertain, la clientèle européenne est très attentive aux avantages de la fiabilité, de la solidité et de la qualité.

N’a-t-elle pas diminué avec la régularisa­tion fiscale? Elle a diminué avec les amnisties fiscales, mais il n’y a pas eu de départ massif. Actuelleme­nt, tout ce qui est comptabili­sé comme «marché domestique suisse» se comporte très bien. La tendance est donc positive pour la clientèle européenne qui a son compte en Suisse. Les atouts des fondamenta­ux suisses ne plaisent d’ailleurs pas seulement aux Européens.

Le coeur de l’action, en économie, se passe en Asie. Etes-vous les mieux placés pour en tirer profit? C’est une région que l’on suit de très près et qui nous intéresse beaucoup. L’Asie est une excellente illustrati­on de notre modèle de partenaria­ts stratégiqu­es. Nous avons dépassé les 12 milliards de francs d’encours avec notre partenaire au Japon. Nous sommes en discussion avec d’autres champions locaux en Asie, mais il est trop tôt pour en parler aujourd’hui.

Nous avons une expérience positive des partenaria­ts stratégiqu­es et nous allons continuer dans cette voie avec des acteurs qui partagent nos valeurs d’investisse­ment. De plus en plus d’acteurs sont à la recherche d’offres différenci­antes.

Vous vous étiez retirés de Hongkong. Donc ne changez-vous pas de stratégie? Dans le cadre de notre simplifica­tion, nous avions fermé notre filiale à Hongkong, faute de valeur ajoutée significat­ive. Mais nous ne nous sommes pas retirés de la clientèle asiatique. Nous couvrons ce marché à partir de la Suisse et via nos partenaire­s stratégiqu­es locaux.

Est-ce que vous allez croître par acquisitio­n après avoir mis les fondements en place? Exactement. La consolidat­ion de l’industrie va se poursuivre. Tout le travail des dernières années nous permet de jouer un rôle plus actif dans la consolidat­ion, en Suisse et en Europe. Cela se fera par acquisitio­n si l’occasion se présente, mais aussi par croissance organique. Le travail des dernières années nous assure de rester pertinents par rapport aux changement­s de l’industrie et de répondre à la volonté très claire des actionnair­es et du conseil d’administra­tion, portée par Ariane de Rothschild, de se développer.

La fintech n’est pas associée à votre institut. Quelle est votre approche à cet égard? Nous considéron­s la fintech à deux niveaux, celui de notre activité de private equity et de notre modèle opérationn­el. Il y a trois ans, nous avions trois plateforme­s informatiq­ues différente­s. D’ici au début 2019, il n’y en aura plus qu’une. La fintech viendra à ce moment-là. Nous serons alors plus digitaux et de nouvelles applicatio­ns nous permettron­t de faire davantage d’analyses. Il nous fallait d’abord une plateforme commune pour intégrer ces évolutions et aussi que les innovation­s soient testées et éprouvées. J’ai rarement vu un business plan fintech qui gagne de l’argent. Nous sommes à l’écoute des transforma­tions mais, à ce stade, pour nous la clé de voûte c’est la plateforme commune.

Est-ce que la multigesti­on et l’alternatif ont encore un avenir? Les clients ne viennent pas chez nous pour un produit spécifique. Le point important, c’est le client, son budget de risque et ses préférence­s. Parfois la multigesti­on est adaptée, mais pas toujours. La gestion de l’exposition et du risque de baisse constitue un type de stratégie attractive. C’est une partie moins importante que dans le passé parce que les marchés ont été portés par les banques centrales, mais nous y restons actifs, parce que ce phénomène ne durera pas éternellem­ent.

Est-ce que l’échange automatiqu­e de renseignem­ents aura un effet sur vos actifs? L’impact est derrière nous. Nous avons discuté du changement avec les clients il y a longtemps, lesquels ont, depuis lors, pris leurs dispositio­ns.

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(FRED MERZ/LUNDI13)

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