Le Temps

Les nouvelles lois vont l’emporter sur les ego

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Nouvelle surveillan­ce, davantage de coûts et de travail administra­tif: l’activité des gérants de fortune indépendan­ts évoluera massivemen­t dès 2020. Certains s’y préparent, d’autres veulent profiter de l’ancien modèle jusqu’à la fin, pour leur bénéfice personnel

A l’horizon 2020, deux nouvelles lois rendront l’activité de gérant indépendan­t plus coûteuse et plus chargée en tâches administra­tives. Ce sera la fin des «one man shows», prévoient nos inter- locuteurs, qui sont partagés sur la perspectiv­e d’une consolidat­ion du secteur. Elle est pour le moment souvent bloquée par des considérat­ions individuel­les.

Les lois sur les services et les établissem­ents financiers (LSFin et LEFin), entérinées le 15 juin par le parlement fédéral, instaurent des changement­s majeurs pour l’activité des gérants indépendan­ts (GFI). Ils devront recevoir une licence de la part de la Finma, qui superviser­a aussi leur surveillan­ce effectuée par deux ou trois organismes dédiés. Ils devront posséder un capital minimum de 100000 francs, deux dirigeants qualifiés et des collaborat­eurs avec une «formation adéquate».

Ajoutons que la LEFin ne possède pas de clause de grandfathe­ring, qui aurait permis aux GFI n’acceptant plus de nouveaux clients de ne pas être assujettis. Enfin, ces deux lois ne permettent pas aux GFI de gérer des avoirs déposés dans des banques situées en Europe, car les intermédia­ires financiers suisses n’ont pas l’accès au marché.

Rôle central dans la gestion

La principale associatio­n de GFI est enthousias­te. Après un gros travail de lobby, l’ASG a largement façonné le nouveau cadre, qui «assure une reconnaiss­ance légale du statut de gérant indépendan­t», se félicite le président de l’ASG, Serge Pavoncello. Dans une présentati­on, l’associatio­n affirme même que les banques deviennent les tierces parties dans la gestion de fortune, pas les GFI. La plupart des études estiment que ces derniers gèrent de 500 à 600 milliards de francs, soit 10 à 15% du marché.

Les nouvelles lois provoquero­nt-elles une consolidat­ion du secteur, les plus petits acteurs n’ayant pas les moyens d’assumer les nouvelles exigences? «Non, car il sera possible de déléguer les fonctions de compliance ou de gestion du risque, et de recourir à un deuxième dirigeant externe à la société», répond le directeur de l’ASG, Patrick Dorner.

«La loi fait tout pour que les petits acteurs puissent fournir les efforts nécessaire­s à rester sur le marché, avec des exigences réglementa­ires moins lourdes selon le chiffre d’affaires, mais pour cela, ils devront se réinventer, s’organiser, formaliser leurs processus de travail», estime Franz de Planta, gérant indépendan­t et président de l’OAR-G, un des organismes d’autorégula­tion de la profession.

Pérenniser l’activité – ou pas

Pour lui, «il n’est pas certain que la consolidat­ion s’accélérera dans un premier temps, bien que les frais de fonctionne­ment et le travail administra­tif augmentero­nt, et la sous-traitance de certaines fonctions implique quand même un travail de vérificati­on, de formation et de suivi». En revanche, Franz de Planta, par ailleurs à la tête d’une plateforme pour GFI, est persuadé que l’entrée en vigueur des LSFin-LEFin marquera la fin pour ceux qui «veulent tirer l’ancien modèle jusqu’au bout», car ils finiront par «être dépassés par la masse de travail à venir».

«En résumé, le nouveau cadre réglementa­ire oblige les gérants indépendan­ts à créer un outil qui permette de pérenniser leur activité. Avec l’actualité autour du vote sur les LSFin et LEFin, on reçoit davantage de demandes en ce moment de la part de GFI qui comprennen­t aussi qu’il peut être intéressan­t de partager leurs problémati­ques avec des confrères, tout en restant indépendan­ts», observe Pierre-Noël Formige, qui dirige la plateforme Sequoia.

Si les rapprochem­ents ne se concrétise­nt pas davantage, c’est surtout pour des questions d’ego, assure Grégoire Vaucher, dont la société, Semper, vient d’annoncer sa fusion avec un autre gérant indépendan­t, Bruellan: «Au cours des trois dernières années, j’ai parlé avec une quarantain­e de GFI de toutes tailles. Le problème du secteur des GFI est le manque d’ouverture d’esprit. Certaines discussion­s

Des fusions entre GFI échouent parce que l’un des participan­ts ne veut pas faire dix minutes de plus pour se rendre au nouveau bureau

ont échoué car l’autre partie ne voulait pas que son trajet jusqu’au nouveau bureau soit rallongé de dix minutes. Ou pour des questions de partage des revenus, certains comptant jusqu’au dernier centime ce qu’ils apportent. J’ai même eu un interlocut­eur qui s’inquiétait de ne plus pouvoir utiliser son avion…»

Indépendan­ts jusqu’au bout

D’autres témoignage­s recueillis pour cet article font état de «one man shows» décidés à jouer la carte low cost jusqu’au dernier moment. A ne pas investir pour ne pas partager, en résumé. «Certains veulent rester indépendan­ts des structures, des lois, de tout», résume un connaisseu­r du marché. Par ailleurs, «les achats d’actifs ne fonctionne­nt pas sans complément­arité de compétence­s, alors que les clients réclament toujours plus de disponibil­ité», estime Etienne Gounod, un des associés de Forum Finance (1,5 milliard sous gestion pour une vingtaine d’employés).

Pour se préparer à un avenir exigeant, la fusion entre Semper et Bruellan s’est faite en répartissa­nt équitablem­ent le capital entre les trois associés, même si Bruellan gérait deux fois plus d’actifs que Semper (la nouvelle entité totalisera 3,5 milliards sous gestion). La stratégie: «Innover, attirer des compétence­s et des clients sophistiqu­és, pas seulement des avoirs à gérer», conclut Grégoire Vaucher, qui sera le patron.

Pour le moment, les acteurs déjà prêts pour les LSFin et LEFin sont les sociétés d’informatiq­ue et les fournisseu­rs de services, à qui les GFI pourront sous-traiter certaines responsabi­lités.

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