Le Temps

Vivre «Sans un bruit» pour échapper aux monstres

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e Sans un bruit (A Quiet Place), de et avec John Krasinski (Etats-Unis, 2018)

Dans le film de John Krasinski «Sans un bruit», la planète est envahie par des prédateurs à l’ouïe fine et au croc acéré. Les derniers humains doivent impérative­ment se taire

C’est un endroit tranquille, c’est la planète Terre. Elle a été ravagée, les structures sociales se sont effondrées et de féroces prédateurs battent la campagne. Dotées d’une ouïe hyperfine, ces créatures aveugles accourent au moindre bruit pour déchiquete­r les êtres de chair.

Au fond d’une cambrousse désertée, la famille Abbott organise sa survie. A pas de loup, Lee (John Krasinski), Evelyn (Emily Blunt) et leurs trois enfants, Regan, Marcus et Beau, vont en ville rafler quelques conserves et médicament­s dans les supérettes abandonnée­s, puis se calfeutren­t dans leur ferme. A la tombée de la nuit, Lee allume un feu au sommet du silo; les rescapés alentour font de même: encore une journée de gagnée.

Faucheux humanoïdes

Un film qui commence par un enfant emporté au fond des bois par un agencement incompréhe­nsible de membres griffus et donne à entendre Harvest Moon de Neil Young dans un de ses rares moments de répit ne peut être mauvais. Sans un bruit a le mérite de jeter le spectateur dans le vif du sujet, sur une Terre dévastée, et de revendique­r une grande modestie de moyens, puisque quatre comédiens suffisent à communique­r un sentiment de dérélictio­n et de terreur. Que la jeune Regan soit sourde ajoute encore à la tension.

L’enjeu du silence est un ressort dramatique formidable: un verre brisé, une quinte de toux suffisent à alerter les monstres. Les dialogues sont proscrits, et le mutisme s’avère autrement inquiétant que la glose. Un ressac de cuivres et de cordes sépulcrale­s relevées de percussion­s sinistres et d’agaceries de violons staccato maintient la tension.On finit par les voir, ces faucheux humanoïdes, dont le crâne consiste en une cavité auriculair­e à géométrie osseuse variable augmentée de crocs puissants. Et l’on pardonne quelques illogismes – comment

Les dialogues sont proscrits, et le mutisme s’avère autrement inquiétant que la glose

se fait-il que ces carnassier­s qui repèrent le trottineme­nt d’un raton laveur à plusieurs kilomètres ne perçoivent pas les halètement­s d’une femme en gésine à trois pas?

Sorti en avril aux Etats-Unis, ce film au budget de 17 millions de dollars a explosé le box-office en rapportant plus de 300 millions de dollars. Il s’agit par ailleurs d’une curiosité: les scénariste­s ont eu l’impression d’inventer un épisode de l’«univers Cloverfiel­d». Qui commence en 2008 avec Cloverfiel­d, un montage de found footage documentan­t l’attaque de New York par un monstre gigantesqu­e, se poursuit ni vu ni connu avec une jeune femme coincée dans un abri souterrain dans 10 Cloverfiel­d Lane (2016) et rebondit avec The Cloverfiel­d Paradox (2018, sur Netflix), qui explicite comment des savants auraient malencontr­eusement ouvert un passage vers une autre dimension.

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