Vivre «Sans un bruit» pour échapper aux monstres
Dans le film de John Krasinski «Sans un bruit», la planète est envahie par des prédateurs à l’ouïe fine et au croc acéré. Les derniers humains doivent impérativement se taire
C’est un endroit tranquille, c’est la planète Terre. Elle a été ravagée, les structures sociales se sont effondrées et de féroces prédateurs battent la campagne. Dotées d’une ouïe hyperfine, ces créatures aveugles accourent au moindre bruit pour déchiqueter les êtres de chair.
Au fond d’une cambrousse désertée, la famille Abbott organise sa survie. A pas de loup, Lee (John Krasinski), Evelyn (Emily Blunt) et leurs trois enfants, Regan, Marcus et Beau, vont en ville rafler quelques conserves et médicaments dans les supérettes abandonnées, puis se calfeutrent dans leur ferme. A la tombée de la nuit, Lee allume un feu au sommet du silo; les rescapés alentour font de même: encore une journée de gagnée.
Faucheux humanoïdes
Un film qui commence par un enfant emporté au fond des bois par un agencement incompréhensible de membres griffus et donne à entendre Harvest Moon de Neil Young dans un de ses rares moments de répit ne peut être mauvais. Sans un bruit a le mérite de jeter le spectateur dans le vif du sujet, sur une Terre dévastée, et de revendiquer une grande modestie de moyens, puisque quatre comédiens suffisent à communiquer un sentiment de déréliction et de terreur. Que la jeune Regan soit sourde ajoute encore à la tension.
L’enjeu du silence est un ressort dramatique formidable: un verre brisé, une quinte de toux suffisent à alerter les monstres. Les dialogues sont proscrits, et le mutisme s’avère autrement inquiétant que la glose. Un ressac de cuivres et de cordes sépulcrales relevées de percussions sinistres et d’agaceries de violons staccato maintient la tension.On finit par les voir, ces faucheux humanoïdes, dont le crâne consiste en une cavité auriculaire à géométrie osseuse variable augmentée de crocs puissants. Et l’on pardonne quelques illogismes – comment
Les dialogues sont proscrits, et le mutisme s’avère autrement inquiétant que la glose
se fait-il que ces carnassiers qui repèrent le trottinement d’un raton laveur à plusieurs kilomètres ne perçoivent pas les halètements d’une femme en gésine à trois pas?
Sorti en avril aux Etats-Unis, ce film au budget de 17 millions de dollars a explosé le box-office en rapportant plus de 300 millions de dollars. Il s’agit par ailleurs d’une curiosité: les scénaristes ont eu l’impression d’inventer un épisode de l’«univers Cloverfield». Qui commence en 2008 avec Cloverfield, un montage de found footage documentant l’attaque de New York par un monstre gigantesque, se poursuit ni vu ni connu avec une jeune femme coincée dans un abri souterrain dans 10 Cloverfield Lane (2016) et rebondit avec The Cloverfield Paradox (2018, sur Netflix), qui explicite comment des savants auraient malencontreusement ouvert un passage vers une autre dimension.
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