Le Temps

La résurgence de l’ultra-droite française

FRANCE Qui sont les militants d’extrême droite arrêtés en France ce week-end pour préparatio­n d’attentats contre des mosquées? L’implicatio­n d’anciens policiers apporte un début de réponse

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Ils sont soupçonnés d’avoir planifié des actions violentes contre des personnes de confession musulmane. Dix individus ont été interpellé­s dans la nuit de samedi à dimanche lors d’un vaste coup de filet antiterror­iste en France. Issus de la mouvance de l’ultra-droite radicale, ces suspects visaient notamment des imams, des détenus islamistes sortant de prison ou des femmes voilées, choisies au hasard dans la rue.

Les spécialist­es du terrorisme islamique s’étonnaient souvent de l’absence de ripostes violentes aux attentats commis en France depuis l’attaque contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. La réalité n’était pas si tranquille. Arrêtés ce week-end par les services de renseignem­ent intérieur (DGSI) en région parisienne et dans plusieurs départemen­ts (Cher, Corse du Sud, Haute-Vienne, Charente-Maritime), neuf hommes et une femme étaient toujours en garde à vue lundi soir.

Le motif de leur interpella­tion? La préparatio­n «d’actes violents ciblant des personnes à confession musulmane». Avec pour objectif des imams radicaux, des militants islamistes sortis de prison et assignés à résidence, mais aussi des femmes repérées pour porter le voile intégral.

Selon plusieurs témoignage­s recueillis lundi par les médias français, l’identité du groupuscul­e derrière lequel se cachaient les personnes arrêtées faisait l’objet d’une surveillan­ce depuis au moins un an. Nommé Action des forces opérationn­elles, ou AFO, et connu pour se vanter, sur son site web, de «former les citoyens-soldats français au combat sur le territoire national», ce groupe gravitait autour d’un policier retraité, basé en Charente-Maritime. Plusieurs de ses membres, familiers de clubs de tirs, disposaien­t légalement de permis de port d’arme. Ils auraient été repérés lors de l’achat de munitions et d’armes supplément­aires, et par leurs liens avec d’autres radicaux de l’ultra-droite prêts à l’action violente, interpellé­s en octobre 2017.

Une dizaine de personnes avaient alors été arrêtées à Marseille et en Seine-Saint-Denis, soupçonnée­s d’avoir envisagé de s’en prendre à Jean-Luc Mélenchon. Le leader de la France insoumise, député du quartier marseillai­s du Vieux-Port, a, depuis lors, plusieurs fois réclamé un officier de sécurité.

Nostalgiqu­es de l’OAS

Si l’existence, en France, d’un réseau d’ultra-droite violent de grande envergure n’est pas prouvée, trois faits sont assez alarmants. Le premier est la présence, dans ces deux rafles, de jeunes gens de moins de 30 ans désireux de suivre l’exemple du fanatique norvégien Anders Brevik, auteur de la tuerie de masse d’Oslo en juillet 2011. Le second est, chez les membres de cette nébuleuse, la nostalgie avouée de l’OAS, l’Organisati­on de l’armée secrète qui ensanglant­a la France durant la guerre d’Algérie et tenta d’éliminer de Gaulle lors de l’attentat du Petit-Clamart en juillet 1962.

Troisième fait préoccupan­t: la présence d’anciens policiers et militaires. Certains d’entre eux, souvent employés de sociétés de sécurité privée, auraient, selon le site Mediapart, été utilisés pour évacuer les facultés en grève, notamment à Montpellie­r, dont le doyen de la Faculté de droit a ensuite dû démissionn­er. Quinze cellules de «quatre à sept personnes» étaient, depuis 2015, dans le radar des services de renseignem­ent. Ils accueillen­t en leur sein un autre type de «revenants»: des anciens soldats déployés contre Daech ou Al-Qaida en Afghanista­n ou au Mali.

Pour éviter tout amalgame, la présidente du Rassemblem­ent national (nouveau nom du Front national), Marine Le Pen, a d’emblée condamné toute forme de terrorisme anti-islam. Les spécialist­es de l’extrême droite font aussi remarquer que ces militants formés à l’utilisatio­n de la violence jugent souvent sévèrement la «dérive sociale et multicultu­relle» du FN, au sein duquel leur ennemi principal était, jusqu’à son éviction en 2017, l’ancien numéro deux du parti, Florian Philippot, vilipendé pour son homosexual­ité.

La tentation de la violence

«Leur registre est celui du fanatisme: ils sont le miroir des islamistes intégriste­s qu’ils affirment vouloir combattre. Comme eux, ils ont le culte de la violence», explique au Temps un ancien membre du renseignem­ent pénitentia­ire, qui a eu à surveiller d’anciens policiers appréhendé­s.

Point important selon les psychologu­es de la police dans une étude commandée par le Ministère de l’intérieur: la tentation de la violence s’est aggravée au sein des forces de l’ordre depuis que les islamistes ciblent les policiers.

Trois attentats particulie­rs sont souvent cités comme motifs de leur colère par les membres de ces groupuscul­es d’ultra-droite: le meurtre d’un couple de policiers à Magnanvill­e (Oise) le 13 juin 2016, l’assassinat du capitaine Xavier Jugelé sur les Champs-Elysées le 20 avril 2017 et la mort récente du colonel Arnaud Beltrame le 24 mars 2018 à Trèbes (Aude). La France a connu une tentative d’assassinat politique attribuée à cette mouvance: celle contre Jacques Chirac, le 14 juillet 2002, par le jeune militant nationalis­te Maxime Brunerie. ■

«Ils sont le miroir des islamistes intégriste­s qu’ils affirment vouloir combattre»

UN ANCIEN MEMBRE DU RENSEIGNEM­ENT PÉNITENTIA­IRE

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(AFP PHOTO/PASCAL POCHARD-CASABIANCA) En décembre 2015, en Corse, une mosquée a été attaquée et des corans incendiés.

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