Le Temps

Erdogan, les pleins pouvoirs

ÉLECTIONS Selon l’éditoriali­ste turc Kadri Gürsel, le score du président sortant, Recep Tayyip Erdogan, et de son parti, l’AKP, était attendu. La surprise du scrutin de dimanche «a été le succès de son allié du Parti d’action nationalis­te»

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARC SEMO (LE MONDE)

TURQUIE Le président Recep Tayyip Erdogan est sorti considérab­lement renforcé de l’âpre bataille électorale remportée dimanche et marquée par une percée ultranatio­naliste. L’opposition a été incapable d’arrêter la marche de l’indéboulon­nable sultan vers davantage de pouvoirs.

Editoriali­ste de Cumhuriyet, quotidien de centre gauche et une des dernières voix indépendan­tes en Turquie, Kadri Gürsel avait été arrêté en octobre 2016 avec dix autres responsabl­es du journal et condamné à 2 ans et demi de prison. Il est l’auteur de Turquie année zéro (Cerf, 2016).

Comment expliquez-vous la réélection de Recep Tayyip Erdogan dès le premier tour, et de la majorité dont disposent son parti et ses alliés à l’Assemblée? Le score électoral du Parti de la justice et du développem­ent (AKP), qui avait remporté 49% des voix aux élections de novembre 2015, est en nette baisse – 42%, comme l’avaient prévu les sondages – mais la surprise de ce scrutin a été le succès de son allié du Parti d’action nationalis­te (MHP), qui pèse 10% et récupère les voix des déçus du parti au pouvoir depuis 2002. La victoire d’Erdogan s’explique avant tout par cette lame de fond nationalis­te qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Quelque 70% des Turcs votent pour un parti nationalis­te, ou ultranatio­naliste, si l’on additionne aux voix de l’AKP et du MHP celles recueillie­s par les néo-nationalis­tes de Meral Aksener, qui avait fait scission du MHP et rejoint l’opposition. Quelles en sont les raisons? Il y a un aspect paradoxal que l’on ne peut expliquer seulement par le contexte régional et les clivages internes, notamment sur la question kurde, attisés par Recep Tayyip Erdogan. Selon toutes les enquêtes, les principale­s préoccupat­ions des électeurs turcs portent sur la dégradatio­n de l’économie, l’inflation, la montée du chômage, le dévissage de la monnaie et non pas sur les questions sécuritair­es. Les résultats d’Erdogan n’en restent pas moins globalemen­t équivalent­s à ceux de sa première élection à la présidence au suffrage universel en août 2014, et lors du référendum sur le régime présidenti­el d’avril 2017. Mais ces élections, ni libres, ni équitables, menées dans un pays soumis à l’état d’urgence, ont été les moins démocratiq­ues depuis l’entrée en vigueur d’un vrai multiparti­sme au début des années 1950.

Erdogan a désormais tous les pouvoirs… Il les avait déjà de facto, même si les dispositio­ns de la nouvelle Constituti­on instaurant un régime hyperprési­dentiel entrent, pour la plupart, en vigueur seulement maintenant. La Constituti­on lui permet une gestion arbitraire du pays, car il n’y a aucune institutio­n à même de garantir un minimum d’équilibre des pouvoirs.

La répression va-t-elle encore se durcir? Cela dépend des réactions de la société civile. Jusqu’ici, elle a résisté, comme on l’a vu notamment pendant la campagne électorale, en se regroupant dans d’immenses meetings pour montrer sa souffrance et son impatience. Recep Tayyip Erdogan va continuer à souffler la haine et à jouer sur les peurs, mais il reste cette situation de fait: son pouvoir sans partage est rejeté par près d’un Turc sur deux. Il est affaibli politiquem­ent, et il a besoin du MHP au parlement, ce qui exclut toute initiative pour trouver une solution politique à la question kurde. En politique étrangère, y compris sur un dossier crucial comme la Syrie, la Turquie est comme un bateau ivre naviguant au gré des courants contraires. La société turque n’a pas dit son dernier mot. ■

KADRI GÜRSEL ÉDITORIALI­STE POUR LE QUOTIDIEN TURC «CUMHURIYET» «Ces élections, ni libres, ni équitables, ont été les moins démocratiq­ues depuis les années 1950»

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