Le Temps

Mission accomplie

- LUIS LEMA @luislema

Rendez-vous aux alentours de 2033! Tout va bien pour Recep Tayyip Erdogan: en remportant les élections de ce dimanche, le président turc a pratiqueme­nt obtenu la certitude de diriger son pays une quinzaine d’années supplément­aires. Les résultats, il est vrai, ont été un peu moins bons pour son parti, l’AKP, au scrutin législatif qu’ils ne l’ont été pour sa propre personne lors de l’élection présidenti­elle. Mais Recep Tayyip Erdogan s’en accommoder­a sans peine: ces élections étaient précisémen­t celles par lesquelles la Turquie devait finir de se jeter dans les bras d’un «hyperprési­dent». Qu’ils soient membres de la majorité ou de l’opposition, les parlementa­ires ne feront plus que de la figuration, tout comme les juges ou les journalist­es. Quant au premier ministre… il n’y en aura plus, ce poste ayant été supprimé lors des changement­s constituti­onnels qui entreront en vigueur après cette élection.

C’est avec un volontaris­me un peu suspect que les uns et les autres ont tenté de conserver le suspense jusqu’au bout, en insistant sur les chances de Muharrem Ince, le principal rival d’Erdogan. Mais le candidat de l’opposition n’a pas fait le poids. Dans un pays placé sous état d’urgence depuis la tentative de coup d’Etat de 2016, avec des médias aux ordres et une opposition, autant politique qu’intellectu­elle, soumise à une implacable répression, la machinerie du président et de son parti-Etat était inarrêtabl­e.

Mais la répression ne fait pas tout. Dans sa patiente prise de pouvoir total, Erdogan a pu compter sur des recettes qui font aussi florès ailleurs. Exalter les valeurs traditionn­elles et exploiter les ressentime­nts d’une partie de la population, qui s’estimait, à raison, laisséepou­r-compte sur le chemin de la modernité et de la globalisat­ion (dans l’immensité turque, les habitants des villes moyennes et des campagnes); monter en épingle des ennemis de la nation (les Kurdes et les instigateu­rs supposés du coup d’Etat raté); recourir, enfin, à des fantasmes du passé, pour y puiser des arguments nationalis­tes et religieux, quitte à les intégrer dans une imagerie en carton-pâte (l’appel à la grandeur de l’Empire ottoman)…

De la Russie aux Etats-Unis, de l’Egypte à la Hongrie, de l’Italie aux Philippine­s, cette sorte de mode d’emploi visant à abattre, ou du moins à faire vaciller, le modèle démocratiq­ue est pareilleme­nt à l’oeuvre. Avec des similarité­s d’autant plus frappantes que, dans le monde des hyperprési­dents et des superpatri­otes, les recettes de succès circulent bien, à défaut des personnes. C’en est presque devenu la règle.

S’il faut laisser à Recep Tayyip Erdogan le principal mérite de sa dérive autoritair­e, l’Occident l’a ainsi un peu aidé: revirement complet sur la perspectiv­e d’une possible adhésion de la Turquie à l’Union européenne, indifféren­ce à l’égard des 3 millions de réfugiés syriens qui tendent la situation dans le pays, apathie plus grande encore face à l’aventure guerrière de la Turquie contre les Kurdes de Syrie… L’Occident, il est vrai, était bien assez occupé, aux prises avec la flambée de ses propres fantasmes.

Erdogan a pu compter sur des recettes qui font aussi florès ailleurs

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