Le Temps

La visite en Suisse du président Rohani

- FRANÇOIS NORDMANN

Le président de la République islamique d’Iran, M. Hassan Rohani, rencontrer­a M. Alain Berset, président de la Confédérat­ion, le 2 juillet prochain, puis le lendemain une délégation du Conseil fédéral. C'est la quatrième fois qu'il s'entretient avec un président suisse: il y eut deux réunions en 2014 avec M. Didier Burkhalter, à Davos et à New York, puis une avec M. Johann Schneider-Ammann à Téhéran en 2016. Sa visite a donné lieu à d'intenses préparatif­s: Mme Pascale Baeriswyl, secrétaire d'Etat du DFAE, s'est rendue à Téhéran la semaine dernière pour passer en revue le programme nucléaire iranien, la sécurité régionale et les droits de l'homme, thèmes qui formeront l'ossature des discussion­s avec le Conseil fédéral. La présence en Suisse du haut dignitaire iranien s'inscrit dans un moment particuliè­rement délicat, du fait de la reprise des sanctions intégrales par les Etats-Unis. La Suisse étant mandataire de Washington, elle se devait de renseigner le Départemen­t d'Etat avant d'accueillir M. Rohani. Mme Baeriswyl est donc allée ensuite à Washington, dans le cadre de consultati­ons régulières, pour expliquer entre autres dans quel esprit la Confédérat­ion recevrait son hôte iranien.

La Suisse s’est toujours déclarée favorable à l’accord nucléaire, négocié pour l’essentiel à Genève et à Lausanne entre 2013 et 2014 et conclu à Vienne le 14 juillet 2015. Le contrôle accru auquel l'Iran s'est soumis en matière nucléaire et les restrictio­ns apportées à ses capacités d'enrichisse­ment de l'uranium sont un facteur de stabilité. En contrepart­ie, les pays partenaire­s mettaient fin aux sanctions économique­s décrétées par le Conseil de sécurité en 2006, ce qui devait contribuer au développem­ent de l'Iran, propre à exercer une influence modératric­e sur sa vie politique. L'accord a ravivé l'intérêt des investisse­urs suisses et relancé le commerce entre la Suisse et l'Iran. Cependant, les banques ont financé avec beaucoup de retenue les opérations commercial­es à destinatio­n de l'Iran, en raison des sanctions financière­s maintenues par les Etats-Unis et des amendes cuisantes qui ont frappé celles qui avaient passé outre. En se retirant de l'accord, les Etats-Unis ont réimposé une palette de sanctions étendues visant non seulement l'Iran mais également les entreprise­s, à travers le monde, qui continuera­ient à commercer avec l'Iran. L'UE, constatant que la partie iranienne respectait l'accord nucléaire, a décidé de tout mettre en oeuvre pour le maintenir en vie et inciter l'Iran à en poursuivre l'exécution. Elle encourage les sociétés européenne­s à poursuivre leur activité en Iran. Mais elles ne veulent pas aller sur le marché iranien au risque de perdre l'accès aux Etats-Unis. La Suisse est confrontée au même dilemme: elle a intérêt au fonctionne­ment de l'accord nucléaire et donc à convaincre l'Iran de ne pas s'en écarter, mais elle dispose de peu de moyens pour influencer les entreprise­s suisses à s'engager davantage dans ce pays.

La Suisse est, d’autre part, bien placée pour expliquer à ses interlocut­eurs la logique de la position américaine, même si elle ne la partage pas. M. Mike Pompeo, secrétaire d'Etat américain, a dressé la liste des 12 conditions draconienn­es, et pour partie irréaliste­s, mises par les Etats-Unis à la reprise des négociatio­ns en vue d'un nouvel accord avec l'Iran. La question des missiles antibalist­iques dans la défense iranienne et la politique d'expansion régionale est évoquée dans ce contexte, tout comme la libération des otages américains disparus ou détenus par l'Iran. Il serait conforme au rôle traditionn­el de la Suisse d'intervenir à ce propos. Que peut faire à cet égard le président Rohani? Il a échappé au début de cette année à une tentative des milieux ultras pour le déstabilis­er et le renverser, et il a maîtrisé habilement des manifestat­ions dirigées contre le régime. Elu sur un programme de développem­ent de l'économie, il se positionne pour succéder au guide suprême Ali Khamenei. Sa visite permettra à ses interlocut­eurs suisses de mesurer les limites de son pouvoir.

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