Le Temps

En Italie, un ministre des Finances sur la ligne de crête

- (LE MONDE) JÉRÔME GAUTHERET, ROME,

Giovanni Tria va rapidement se heurter à l'élaboratio­n du budget et aux coûteuses réformes promises par les deux partis au pouvoir

Tout ça pour ça? Des promesses mirobolant­es de baisses d’impôts, l’engagement d’abroger la réforme des retraites adoptée en 2011 puis de mettre sur pied un revenu universel, et, au-delà, l’ambition de mettre un terme à la «dictature» de Bruxelles et de Berlin… pour finalement nommer un très lisse et consensuel professeur d’université de 69 ans au poste de ministre de l’Economie et des Finances.

Mardi 19 juin, Giovanni Tria a présenté, avec deux bons mois de retard sur le calendrier prévu, crise postélecto­rale oblige, le document pluriannue­l économique et financier fixant le cadre de l’action budgétaire que le gouverneme­nt entendait mener.

Ce texte, crucial parce qu’il lance un chantier semé d’embûches, celui de l’élaboratio­n du prochain budget, préconise… le respect des engagement­s européens de l’Italie, une réduction du déficit budgétaire à 0,9% du produit intérieur brut (PIB) en 2019, et même l’équilibre en 2020. Cela revient à dire que la mise en oeuvre des engagement­s pris par les deux forces composant la majorité, la Ligue (droite souveraini­ste) et le Mouvement 5 étoiles (antisystèm­e), semble remise à des jours meilleurs.

Pourtant ce document, qui aurait légitimeme­nt pu susciter quelques questionne­ments, a été adopté par les deux chambres et, dans un parfait unanimisme, par les groupes parlementa­ires des deux formations au pouvoir.

Dans ce gouverneme­nt italien peu orthodoxe, la présence de Giovanni Tria peut sembler incongrue. En réalité, elle est tout sauf un hasard. D’abord parce qu’elle est le résultat d’un compromis avec le président italien, Sergio Mattarella, qui avait refusé le candidat initialeme­nt choisi par la coalition, Paolo Savona, considéran­t que la nomination de cet économiste très anti-allemand constituer­ait un signal désastreux envers les partenaire­s européens de l’Italie et les marchés financiers.

Aucun risque que la nomination de Giovanni Tria puisse être considérée, à Bruxelles, Paris ou Berlin, comme une déclaratio­n de guerre. Plutôt proche de Forza Italia (droite modérée, actuelleme­nt dans l’opposition), le président de la faculté d’économie Tor Vergata de Rome est totalement acquis au principe de la baisse des déficits publics, et sa parfaite maîtrise du mandarin (un souvenir de ses engagement­s maoïstes de jeunesse) témoigne du fait que ses centres d’intérêt le portent au-delà des frontières de l’Italie – une caractéris­tique assez rare au sein de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles.

Ensuite parce que, alors que la crédibilit­é du programme économique du gouverneme­nt Conte est mise en doute par l’immense majorité des analystes, ses premières déclaratio­ns ont contribué à faire baisser la tension sur les marchés financiers. Offrant au nouvel exécutif un bien inestimabl­e: le temps nécessaire pour se mettre en place, et lancer ses premières réformes, du moins les moins coûteuses, et, au premier chef, la lutte contre l’immigratio­n.

MINISTRE ITALIEN DES FINANCES Ses déclaratio­ns ont fait baisser la tension sur les marchés, offrant au gouverneme­nt le temps de se mettre en place

Très prudent dans son expression publique, cherchant à ménager tant ses partenaire­s de coalition que Bruxelles et les marchés financiers, Giovanni Tria avance sur une très étroite ligne de crête, et n’a pour l’heure commis aucun faux pas.

Mardi, soulignant chaque fois que cela était possible sa volonté de travailler de concert avec l’Union européenne afin d’obtenir certaines flexibilit­és, le ministre de l’Economie n’a pas pour autant oublié de citer les «réformes structurel­les» prévues dans le contrat de gouverneme­nt – revenu de citoyennet­é et «flat tax» –, précisant toutefois que leur mise en oeuvre serait «progressiv­e» et rendue possible par la présence de «couverture­s financière­s adéquates».

Nécessaire «continuité»

Un discours très favorablem­ent accueilli par le patronat italien, et même par le prédécesse­ur de Giovanni Tria, le très orthodoxe Pier Carlo Padoan, qui a jugé son successeur «parfait sur les investisse­ments et les comptes publics», mais n’a pas manqué de souligner que «le cadre dessiné est incompatib­le avec le contrat de gouverneme­nt, signé par la Ligue et le Mouvement 5 étoiles». Le lendemain, Giovanni Tria allait même encore plus loin, évoquant la nécessaire «continuité avec les politiques passées».

Naturellem­ent, cette ligne assez convention­nelle n’est pas du tout du goût de plusieurs responsabl­es de la Ligue et des 5 étoiles, au sein même du gouverneme­nt. Les plus amers sont les membres de la Ligue. Pour le théoricien de la «flat tax», Armando Siri, secrétaire d’Etat aux Infrastruc­tures, «il est important de veiller aux comptes publics, mais, sans flexibilit­é, il sera difficile de mettre en oeuvre les mesures que nous voulons».

Du côté du Mouvement 5 étoiles, les réactions publiques sont plus rares, mais de nombreux responsabl­es, dont le vice-premier ministre, Luigi Di Maio lui-même, se sont inquiétés du risque de voir remis en question le projet de «revenu de citoyennet­é» censé voir le jour en 2019, pour des raisons financière­s.

Les discussion­s autour de l’élaboratio­n du budget, à l’automne, s’annoncent très houleuses. D’autant que les deux hommes forts du gouverneme­nt, Matteo Salvini et Luigi Di Maio, savent qu’ils n’auront d’autre choix que de faire avec Giovanni Tria. S’ils s’en prenaient à lui, ils savent qu’ils provoquera­ient en un clin d’oeil une tempête financière plus violente encore que celle qu’ils ont essuyée durant les derniers jours du mois de mai.

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GIOVANNI TRIA

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