Le Temps

La bonne passe financière de Piqué et Griezmann

- ADRIÀ BUDRY CARBÓ @AdriaBudry

«Se queda». Souvenez-vous, c’était l’été dernier. Bras dessus bras dessous, Gerard Piqué annonçait sur Twitter que son coéquipier Neymar restait au FC Barcelone. Dix jours plus tard, le Paris Saint-Germain débauchait la star brésilienn­e pour 222 millions d’euros. Pas de quoi décontenan­cer pour autant le très taquin Gerard Piqué, qui a récidivé cet été.

Mardi 12 juin: nous sommes à deux jours du début de la Coupe du monde. L’attaquant vedette de l’équipe de France Antoine Griezmann est attendu au tournant à la conférence de presse des Bleus. Voilà des mois qu’il flirte avec le Barça, tout en proclamant son amour à son club actuel, l’Atletico Madrid. Mais il a promis de clarifier son futur avant le début de la compétitio­n en Russie. Les journalist­es n’en tireront pourtant pas un mot, malgré une tentative désespérée via une voix automatiqu­e.

Des états d’âme à 23 millions

C’est que Gerard Piqué joue sur deux tableaux. Côté pile: une brillante carrière de défenseur au Barça et en équipe d’Espagne, avec qui il dispute la Coupe du monde (et pourrait affronter Antoine Griezmann). Côté face, celle d’un entreprene­ur aux multiples casquettes, contrôlant notamment la société d’investisse­ment Kerad 3 (14 millions d’euros au capital, gérés par UBS). Ou la coentrepri­se Kosmos, qui vient d’obtenir le mandat de la Fédération internatio­nale de tennis pour réformer la Coupe Davis. Budget: 3 milliards de dollars sur vingt-cinq ans.

Dans l’affaire Griezmann, Kosmos Studio a tout anticipé depuis des mois. La société de production suit le petit attaquant des Colchonero­s depuis le 16 avril et, après une enchère planifiée de près de deux mois, a livré l’épilogue dans un «documentai­re», diffusé en prime time le 14 juin.

Les images défilent: sessions d’introspect­ion et de tatouages, confession­nal post-match sur les escaliers de la villa et déclaratio­ns grandiloqu­entes des proches façon «Ici, tu peux faire l’histoire, là-bas, tu seras un joueur de plus». Après trente minutes d’états d’âme diffusées en prime time, Antoine Griezmann finit par annoncer sa «décision» (c’est le titre du film) de rester à l’Atletico Madrid. Bien sûr, via une sérieuse revalorisa­tion salariale: 23 millions d’euros, selon le média spécialisé­El Confidenci­al.

Le «se queda» de trop

Faire jouer la concurrenc­e pour faire avancer sa carrière? Même si la communicat­ion est innovante pour le football, la stratégie est vieille comme le «Mundial». En réalité, le problème tient davantage au fond: Kosmos Studios appartient à Gerard Piqué, qui a donc contré les intérêts de son propre club.

Côté barcelonai­s, ce nouveau «se queda» est d’autant plus dur à avaler que le président du club, Josep Maria Bartomeu, s’était personnell­ement engagé pour convaincre Antoine Griezmann, causant un incident diplomatiq­ue avec le club rival. Le Barça – qui méconnaiss­ait tout des images – a timidement promis de tirer les oreilles de sa star de 31 ans dont le contrat pèse un demi-milliard d’euros, et qui affiche fièrement son logo «Power to the Players» sur les réseaux sociaux.

Le football n’en est pas à ses premiers conflits d’intérêts. Un exemple parmi d’autres: il y a deux ans, le blog «Football Leaks» éclairait la problémati­que des «agents doubles» à travers la fiche de paie de Mino Raiola. A la fois «agent» de Paul Pogba et «intermédia­ire» pour les clubs de départ (Juventus) et d’arrivée (Manchester United), il avait été rémunéré par les trois parties signataire­s du transfert du milieu de terrain français, empochant 54 millions de francs au passage. Soit 40% de la transactio­n totale.

Mélange des genres

«Griezmann a embarqué tout notre argent», ironisait Diego Costa suite au renouvelle­ment du contrat de son coéquipier de l’Atletico Madrid. On ne le sait pas encore, mais le second club de la capitale a peut-être décidé de vendre une partie des droits d’Antoine Griezmann à un fonds d’investisse­ment pour financer son salaire. A l’instar de l’opération réalisée en 2013 pour Koke, qui appartient à 30% au fonds Quality Football Ireland, selon «Football Leaks».

Le poker menteur avec Gerard Piqué aurait alors permis – outre l’accélérati­on du transfert de revenus des clubs vers les joueurs – de gonfler artificiel­lement la valeur de l’attaquant français, en spéculant sur un éventuel transfert. Au plus grand bonheur des actionnair­es qui se sont payé une «part» d’Antoine Griezmann.

Dans le monde de la finance, ce type de une-deux entre Piqué et Griezmann aurait un nom: délit d’initié. Et, vu les sommes en jeu, il n’y a qu’une différence: les joueurs ne sont pas encore cotés en bourse. ▅

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