Il y a moins de migrants, mais l’Europe crie plus fort
Réunis dès ce jeudi soir, les pays européens vont de nouveau se déchirer sur l’accueil des migrants mais le nombre des arrivées a en réalité chuté. Et les drames de la migration se déroulent loin des frontières européennes et des regards
Réunis en sommet à Bruxelles, les 28 s’enflamment autour des moyens de stopper ceux qui veulent rejoindre l’UE. Pourtant, le nombre de candidats a nettement diminué
«Le débat sur les migrations s’enflamme de plus en plus, et ce sera le point principal de l’ordre du jour», insiste Donald Tusk, président du Conseil européen, dans la lettre qu’il envoie traditionnellement aux 28 chefs d’Etat et de gouvernement réunis en sommet jeudi et vendredi à Bruxelles.
Il n’a pas tort. En amont de la rencontre européenne, des propositions de plus en plus dures face aux migrants, notamment la création de camps aux portes de l’Union, ont fusé. Donald Tusk ne tempère pas lorsqu’il ajoute: «Une condition préalable à une véritable politique migratoire de l’UE est que les Européens décident effectivement qui entre sur le territoire européen. Ne pas atteindre cet objectif serait en fait une manifestation de notre faiblesse et, surtout, cela pourrait donner l’impression que l’Europe n’a pas de frontières extérieures.»
Il faudra bien sûr que les 28 parviennent à s’accorder. Mais, quelle que soit l’issue du sommet, les solutions semblent toutes relever d’une politique de plus en plus musclée en matière d’immigration, à l’image des discours hostiles aux migrants qui jaillissent de plus belle, partout en Europe.
Ce poids grandissant des mots contraste avec les chiffres qui, eux, vont plutôt en s’allégeant. Selon le HCR, les flux sont en baisse. Au plus fort de la crise, en 2015, l’Europe avait en effet vu arriver 1,02 million de personnes par la Méditerranée. Depuis le début de 2018, on est tombé à 44370 personnes seulement – soit moins que le record de 48000 personnes arrivées en cinq jours en Grèce en octobre 2015.
«Il ne faut pas donner l’impression que l’Europe n’a pas de frontières extérieures» DONALD TUSK, PRÉSIDENT DU CONSEIL EUROPÉEN
L’activisme du nouveau gouvernement italien et de son ministre de l’Intérieur anti-immigration, Matteo Salvini, fait penser que la péninsule fait face à un afflux record de migrants. Illusion d’optique. Depuis le début de l’année 2018, les traversées sont bien moins nombreuses. Selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies, 44370 arrivées ont été enregistrées au premier semestre en Italie, en Grèce et en Espagne. Pour toute l’année 2017, le nombre d’arrivants sur les côtes européennes était encore de 172301. On était très loin de l’année record de 2015 avec plus d’un million de traversées. Des centaines de milliers de gens, principalement des Syriens, avaient alors débarqué sur les îles grecques avant de gagner l’Allemagne, qui avait ouvert temporairement ses frontières.
La chancelière allemande, Angela Merkel, n’en finit pas de payer politiquement cette décision. Elle se rendra jeudi soir à Bruxelles pour le début du sommet européen plus affaiblie que jamais. L’heure n’est plus à l’ouverture. Les projets de relocalisation de migrants entre pays européens, pour soulager l’Italie, la Grèce et l’Espagne, sont au point mort. Les anciens pays de l’Est ne veulent toujours pas en entendre parler. L’Autriche et son gouvernement de coalition avec l’extrême droite, qui présidera l’Union européenne dès la semaine prochaine, non plus.
«Débat enflammé»
L’Italie, qui a porté toutes ces dernières années une grande partie du fardeau des arrivées, a mis les pieds au mur. Matteo Salvini a interdit aux navires d’ONG qui recueillent les migrants en Méditerranée de les débarquer en Italie. Après l’Aquarius, finalement accueilli par l’Espagne il y a dix jours, d’autres bateaux font les frais de cette nouvelle posture. Un navire affrété par l’ONG allemande Lifeline a finalement accosté à Malte mercredi soir. Plusieurs pays européens se sont en effet engagés à prendre une part des 233 migrants à bord.
«Le débat sur les migrations s’enflamme de plus en plus», a souligné Donald Tusk, président du Conseil européen, dans une lettre envoyée aux 28 chefs d’Etat et de gouvernement avant la réunion de Bruxelles. «De plus en plus de gens commencent à croire que seule une autorité forte, anti-européenne et anti-libérale dans l’esprit, avec une tendance à l’autoritarisme manifeste, est capable de stopper la vague de migration illégale», met en garde le Polonais.
Ouvrir des ports hors d’Europe
Pour régler cette «crise», il n’est plus question de remettre sur l’ouvrage une répartition des migrants entre pays européens. Encore moins de revoir le système de Dublin, qui permet aux membres de l’espace Schengen, Suisse y compris, de renvoyer les migrants vers le premier pays d’entrée, faisant porter l’essentiel du fardeau à l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Pour calmer Rome, Donald Tusk propose de créer des «plateformes pour débarquer les migrants hors d’Europe». Seconde idée: un fonds pour lutter contre l’immigration illégale, qui serait une sorte de contrepartie aux pays qui voudraient bien ouvrir leurs ports aux bateaux de migrants. Enfin, l’Europe est appelée à renforcer sa coopération avec les gardes-côtes libyens.
C’est justement cette collaboration qui a permis de faire baisser les départs depuis les côtes libyennes. Mais à quel prix? En novembre dernier, Amnesty International dénonçait le soutien européen aux gardes-côtes libyens, accusés de collaborer avec les passeurs. Quand ils sont interceptés par les Libyens, les migrants sont emprisonnés ou remis aux bourreaux qui les avaient extorqués avant de les entasser sur des rafiots à destination de l’Italie. L’Europe espère rééditer l’accord passé avec la Turquie en 2015, qui avait permis de juguler les débarquements sur les îles grecques. Mais la situation est bien pire en Libye.
La proposition d’ouvrir des ports en dehors de l’Europe ne convainc pas davantage Vincent Chetail, direc- teur du Centre des migrations globales à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID). «Le Conseil européen peut décider ce qu’il veut mais les pays extra-européens sont souverains. Je ne vois pas pourquoi l’Algérie, la Tunisie, le Maroc ou l’Egypte géreraient les flux de migrants, qui ne font que transiter chez eux. Comme l’Europe n’arrive pas à trouver de solutions, elle veut une nouvelle fois externaliser le problème.»
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«Les citoyens européens attendent de nous que nous fassions preuve de détermination dans nos actions visant à restaurer leur sentiment de sécurité» DONALD TUSK, PRÉSIDENT DU CONSEIL EUROPÉEN