Le Temps

Horst Seehofer, l’Europe en otage

Le ministre allemand de l'Intérieur, Horst Seehofer, a lancé un ultimatum à Angela Merkel sur les questions migratoire­s, menaçant la fragile coalition au pouvoir à Berlin à la veille d'un sommet européen crucial sur le dossier

- NATHALIE VERSIEUX, BERLIN

Horst Seehofer, le chef du parti chrétien social bavarois CSU pourrait se retrouver la semaine prochaine à la retraite. Le 1er juillet expire en effet l’ultimatum qu’il a adressé à Angela Merkel sur les questions migratoire­s, devenues le principal enjeu du sommet de l’Union européenne (UE) qui se tient aujourd’hui à Bruxelles. Si aucune solution européenne n’est trouvée à cette occasion, l’homme a promis de mobiliser la police fédérale, qui relève de ses compétence­s, pour renvoyer les migrants à la frontière. Opposée à cette «solution nationale», la chancelièr­e n’aurait d’autre choix que de congédier son ministre, ce qui mettrait fin à sa majorité. Comme le dit le quotidien italien La Repubblica, «Horst Seehofer a pris l’Europe en otage».

Horst Seehofer, 69 ans la semaine prochaine, et Angela Merkel ne se sont jamais vraiment appréciés. Ils ont fait connaissan­ce autour de la table des conseils des ministres d’Helmut Kohl. Elle était débutante au portefeuil­le de la Famille, lui ministre de la Santé. Tout oppose la froide physicienn­e et fille de pasteur de l’ex-RDA et le sanguin catholique autodidact­e bavarois. Surtout depuis que fin août 2015, la chancelièr­e a décidé d’ouvrir les frontières allemandes pour éviter une catastroph­e humanitair­e en Hongrie. Pendant deux ans, Horst Seehofer, alors ministre président de la Bavière, a dû supporter ce qu’il appelle «le règne de l’Etat de non-droit».

Tentes à bière

La débâcle de la CSU en Bavière, lors des législativ­es de septembre dernier, a provoqué un électrocho­c dans le parti, qui redoute de perdre sa majorité absolue aux régionales du 14 octobre, face à la poussée du parti d’extrême droite AfD. Le développem­ent de l’AfD? «Il est directemen­t lié au fait que les partis traditionn­els ont ignoré les craintes du peuple», tranche l’intéressé. Ses détracteur­s l’accusent de jeter de l’huile sur le feu avec son discours anti-migrants.

Lorsqu’il parle du peuple, Horst Seehofer pense d’abord aux Bavarois. Son terrain de prédilecti­on, ce sont les tentes à bière dressées dans les bourgades et les villages par la CSU pendant les campagnes électorale­s. Il troque alors volontiers son costume sombre pour une veste de loden. Et de fustiger ceux qui l’empêchent de «remettre de l’ordre» à Berlin. «Pour expulser 10 réfugiés afghans, il faut mobiliser 52 fonctionna­ires de police… Viols, coups et blessures, que des crimes graves… Et pourtant, vous avez des gens qui manifesten­t contre leur expulsion!» Tonnerre d’applaudiss­ements au-dessus des chopes de bière. «Berlin, aime-t-il à répéter, est une ville traditionn­ellement mixte. Mais le «multi-culti», ce n’est pas pour tout le pays!»

De son propre aveu, le ministre de l’Intérieur et de la Patrie, qui avait choqué au début de son mandat en assurant que «l’islam ne fait pas partie de l’Allemagne», n’a mis les pieds qu’une fois à Neukölln, le quartier le plus cosmopolit­e de Berlin. C’était voici plus de vingt ans. Quand il va au restaurant, il commande des plats rustiques. Olives et autres ingrédient­s exotiques sont soigneusem­ent mis à l’écart sur le bord de l’assiette. Affaibli par un accident cardiaque, il évite les déplacemen­ts à l’étranger, privilégia­nt pour ses loisirs l’agrandisse­ment de son circuit de train électrique, dans la maison familiale.

Horst Seehofer a grandi à Ingolstadt dans un milieu strict et modeste. Son père est conducteur d’engin sur les chantiers. Sa mère gère la famille d’une poigne de fer. Elle le mène à 14 ans par la main au bureau de l’administra­tion locale, où on le charge de transporte­r les dossiers d’un service à l’autre. «Toi aussi, tu pourrais faire ce que font le maire ou le chef d’arrondisse­ment», se dit le jeune homme.

«Les partis traditionn­els ont ignoré les craintes du peuple» HORST SEEHOFER

Un gros risque

En 1969, alors que la jeunesse de gauche manifeste dans les rues des grandes villes allemandes, Horst Seehofer entre au mouvement de jeunesse des chrétiens-démocrates. C’est le début d’une carrière politique exemplaire, malgré quelques accidents de parcours. Comme lorsque le tabloïd Bild-Zeitung révèle en 2007 la grossesse de son attachée parlementa­ire. Le scandale serait la cause de sa solide inimitié à l’encontre de Markus Söder, un rival plus jeune devenu ministre-président de la Bavière en début d’année. Seehofer est convaincu que Söder aurait livré le secret de sa liaison à la presse.

«Pour expulser 10 réfugiés afghans, il faut mobiliser 52 fonctionna­ires de police»

HORST SEEHOFER

Dans son conflit avec Merkel – sa «voisine» comme il appelle celle dont il voit les jardins depuis la fenêtre de son bureau –, Horst Seehofer risque gros. Il pourrait dès lundi perdre le ministère taillé à la mesure de ses ambitions (8 secrétaire­s d’Etat, 2000 salariés, sans compter les 75 000 employés des 20 administra­tions sous ses ordres). Ceux qui le connaissen­t assurent qu’affaibli et en fin de carrière, il est prêt à jouer son va-tout pour sauver son image dans les livres d’histoire.

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(TOBIAS SCHWARZ/AFP PHOTO)

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