Nationalisme dans le sport, à qui la faute?
Depuis près d’un demisiècle, sans doute suite à l’horreur de la Deuxième Guerre mondiale, le nationalisme a très mauvaise presse. Dans la foulée, même le patriotisme est mal vu, alors qu'il n'est qu'un attachement affectif à la patrie (du latin patria, la terre des pères), tandis que la nation qui résulte des aléas de l'histoire est plus politique. Les deux joueurs de la Nati dont le geste ne cesse d'être commenté n'ont pas témoigné de patriotisme envers le Kosovo mais, à travers l'aigle, affirmé la revendication nationaliste albanaise à former une nation. Vous en conviendrez, cela n'a rien à voir avec le sport!
Pourtant, de nombreux commentateurs ont trouvé qu’on faisait bien des histoires pour une action somme toute anodine. Parmi ceux-là, la plupart conspuent pourtant le nationalisme dans d'autres circonstances… Cette contradiction relève de plusieurs causes. Chez certains, le spectacle sportif et l'enthousiasme qu'il suscite endorment l'esprit critique au point de tout accepter sans broncher afin que la fête continue. Chez d'autres, c'est l'idéologie qui s'en mêle avec une préférence assumée pour le nationalisme albanais contre le nationalisme serbe. Beaucoup y ajoutent encore une défense intransigeante de la Suisse multiculturelle et du droit des nouveaux venus à garder leurs racines, voire à les revendiquer.
Par son jugement, la FIFA a reconnu le geste fautif et inapproprié des buteurs suisses en leur infligeant une amende, donnant tort à ceux qui, contre l'évidence, niaient l'intention politique, tergiversaient sur le sens de la démonstration ou invoquaient la tension du match pour excuser l'inexcusable. Mais c'est pourtant les instances du football ellesmêmes qui sont responsables de cela. Car pourquoi bâtir des Coupes du monde sur la base des nations si l'on cherche à combattre le nationalisme? Pourquoi inciter les peuples à sortir les drapeaux, les effigies, les couleurs et les hurlements coutumiers, toutes pratiques qui encouragent les appartenances et affirment les différences, pour se plaindre ensuite que le nationalisme s'en mêle?
En réalité, ces organisations savent très bien que, malgré la mondialisation et l’affadissement des frontières, l’ancrage national reste puissant chez les peuples, incontournable pour le succès des rencontres. Le fait que les équipes soient de plus en plus métissées, à l'image des sociétés elles-mêmes, n'a rien changé à la puissance de cet attachement, ce qui témoigne de la remarquable ouverture à l'Autre des peuples européens. Mais ils sont en droit d'attendre une loyauté similaire en retour. C'est pourquoi le vrai reproche à faire à Xherdan Shaqiri et Granit Xhaka, c'est d'avoir porté atteinte à la Suisse et à ses valeurs-fanion, valeurs qu'ils se doivent d'incarner lorsqu'ils la représentent officiellement à la face du monde.
Or la Suisse ne se reconnaît pas dans le fait de marquer des buts lors d’un Mondial, même si cela fait plaisir. Elle se reconnaît par sa neutralité politique qui a été mise à mal. Par un respect des minorités qui fait partie de son ADN, ce dont les Serbes de Suisse ne sont plus si sûrs. Par son fair-play si bien incarné à l'international par Roger Federer, et qui a été pris en défaut ce soir-là avec les rictus haineux de ses footballeurs. Par sa capacité d'intégrer harmonieusement ses communautés autochtones et, par extension, ses immigrés récents, qui a été démentie durant ces quelques secondes car ce n'étaient pas des Suisses d'origine kosovare qui se tenaient devant les caméras du monde mais des Albanais du Kosovo.
Que les Serbes dans les tribunes se soient mal conduits, c’est leur affaire et qu’ils l’assument. En revanche, c’est la Suisse qui doit endosser le geste de Shaqiri et Xhaka, et cela change tout. Ce d'autant que le capitaine Stephan Lichtsteiner, normalement chargé de calmer les esprits, a stupidement imité ses joueurs, prouvant malheureusement qu'il est plus facile de transformer un Suisse en Kosovar que de convertir un Kosovar en Suisse!
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