Le Temps

Conflits au sein du bloc opératoire: quels risques pour le patient?

MÉDECINE Les conflits seraient plus nombreux en salle d’opération lorsque celle-ci est occupée majoritair­ement par des hommes, selon une récente étude américaine, qui pointe également les risques possibles pour le patient

- PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIE LOGEAN @SylvieLoge­an

Centre névralgiqu­e de l'hôpital, le bloc opératoire est un lieu clos, secret, voire un peu effrayant, qui voit de nombreux protagonis­tes s'affairer simultaném­ent dans un espace confiné. Entre chirurgien­s, anesthésis­tes, infirmiers et instrument­istes, les interactio­ns sont nombreuses, débouchant parfois sur des conflits. Sans conséquenc­e la plupart du temps, ces dissonance­s peuvent toutefois, dans certains cas, compromett­re la sécurité du patient.

Laura K. Jones, anthropolo­gue médicale, chercheuse à l'Université Emory, à Atlanta, et première auteure d'une étude parue le 2 juillet dans la revue a examiné plus de 6300 interactio­ns sociales, au cours de 200 opérations réalisées au sein de trois grands hôpitaux urbains de l'Etat de Géorgie, entre 2014 et 2016. Pour ce faire, son équipe a utilisé une méthode traditionn­ellement employée pour observer les relations spontanées au sein de groupes de primates. Ses conclusion­s démontrent que la coopératio­n serait meilleure, et les conflits moins nombreux, lorsque les deux genres sont représenté­s au sein de la salle d'opération. Décryptage.

Les conclusion­s de votre étude semblent sans appel: les conflits seraient plus fréquents lorsqu’un bloc opératoire est occupé principale­ment par des hommes. Ces résultats vous ont-ils étonnée?

J'avais déjà pu observer, par le passé, des tensions récurrente­s entre chirurgien­s et anesthésis­tes dans l'un des hôpitaux où je travaillai­s. L'institutio­n voulait en savoir plus sur l'origine de ces conflits, d'où notre étude. Cependant, cette différence de genre n'était pas quelque chose que nous recherchio­ns activement. Nous avons récolté énormément de données concernant tout type d'interactio­ns sociales, qu'il s'agisse de plaisanter­ies, de ragots, d'insultes, de drague ou même de pas de danse. Leur analyse a fait ressortir, de manière significat­ive, que les conflits étaient plus nombreux lorsque les hommes étaient majoritair­es en salle d'opération, tout comme, dans une moindre mesure, lorsque cette dernière était principale­ment occupée par des femmes. Ces conclusion­s ne sont pas totalement surprenant­es si l'on compare ces situations avec le règne animal. En effet, les rivalités et les enjeux de pouvoir y sont plus fréquents à l'intérieur d'un même sexe qu'entre les sexes. Les hommes ayant une position élevée dans la hiérarchie ont toutefois tendance à s'exprimer davantage et à faire preuve d'un comporteme­nt plus exubérant que leurs pendants féminins, d'où des tensions plus importante­s. A contrario, il s'avère que la coopératio­n est bien meilleure en salle lorsque le chirurgien n'est pas du même genre que la majorité du reste de l'équipe.

Ces conflits au sein du bloc opératoire ne sont pas toujours anodins et peuvent avoir des conséquenc­es sur la sécurité des patients…

Les tensions sont inévitable­s, surtout en médecine, où les questions liées à la hiérarchie sont très présentes. Par ailleurs, les conflits peuvent aussi se révéler constructi­fs, car il est important que les subalterne­s puissent avoir la possibilit­é de contester l'autorité. Mais parfois, ces dissension­s peuvent entraîner un temps d'arrêt dans le déroulé de l'interventi­on. Les principaux protagonis­tes ne sont alors plus totalement concentrés sur le patient, ce qui est problémati­que. Selon nos résultats, dans près de 70% des cas, c'est le chirurgien qui s'avère l'initiateur des conflits, dont l'origine peut être aussi diverse que du retard dans la procédure, le manque de matériel adéquat ou encore des attitudes peu respectueu­ses à

l'égard des assistants.

L’éthologie étudie traditionn­ellement les comporteme­nts des animaux dans leur milieu naturel, pourquoi avoir choisi cette méthode? Car il s'agit d'un excellent moyen pour analyser, à travers une méthode précise d'observatio­n directe, les enjeux de pouvoir. L'éthologie n'avait presque jamais été utilisée avant cela pour étudier le champ médical, principale­ment parce qu'il est très difficile d'avoir accès au bloc opératoire. Pour ne pas biaiser les résultats, nous sommes volontaire­ment restés aussi vagues que possible sur l'objectif de notre recherche.

Pensez-vous que des changement­s devraient être opérés, notamment en termes de compositio­n des équipes? Il faudrait veiller, en effet, à avoir des équipes plus diversifié­es, notamment dans certains départemen­ts encore principale­ment dominés par les hommes, comme la neurochiru­rgie ou l'orthopédie. On ne pourra toutefois pas changer la culture de ces services du jour au lendemain, c'est pourquoi il est déjà important de rendre les écoles de médecine et les institutio­ns attentives à ce problème pour, à terme, pouvoir l'anticiper davantage.

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