Le Temps

Un si méchant volatile

Si ce très grand oiseau océanien est un véritable papa poule, c’est pour mieux cacher son côté obscur: une tronche de sale voyou, considéré comme le volatile le plus dangereux du monde

- ALIZÉE GUILHEM t @AlizeeGui

Notre série sur les animaux badass dresse le portrait du casoar, ce ninja emplumé adepte des coups de pied, qui aurait sa place dans un film de kung-fu. Malgré son côté papa poule, il est considéré comme le volatile le plus dangereux du monde.

Au milieu des feuillages de la forêt dense, une tête de punk à crête se détache. Le bleu et le rouge vifs de son cou sonnent comme un «no future», un avertissem­ent à qui voudrait s’y frotter. Son corps trapu, à peine plus petit que celui de sa cousine l’autruche, est couvert d’un plumage noir à l’air rêche. Voici Casuarius casuarius, ou casoar à casque, oiseau terrestre d’Océanie semblant sorti tout droit de la préhistoir­e.

Ses deux pattes robustes et écailleuse­s rappellent celles des vélocirapt­ors de

Jurassic Park. Elles se terminent par trois doigts, dont le plus interne est prolongé par une griffe pouvant atteindre 12 centimètre­s de long. Comparable à un poignard, elle peut se transforme­r en arme redoutable. Et ce badass à plume n’hésite pas à s’en servir. Mieux vaut ne pas se le mettre à dos, sous peine de se faire étriper. Ce n’est pas pour rien qu’il a été élu «oiseau le plus dangereux du monde» par le Livre Guinness des records.

Un ninja emplumé

Avouons-le, au premier coup d’oeil, le volatile n’a rien d’effrayant. Il ne sait même pas voler, et se promène avec un air pataud. Il a en revanche une belle détente. Dans une situation où il se sentirait acculé, le casoar saute puis, avec un coup de patte bien placé, peut griffer son ennemi à mort. Ce ninja emplumé adepte des coups de pied sautés aurait eu toute sa place dans un film de kung-fu.

«L’homme peut être considéré comme un prédateur et être attaqué en tant que tel.» Alice Cibois, ornitholog­ue au Muséum d’histoire naturelle de Genève, n’y va pas par quatre chemins pour reconnaîtr­e qu’il y a un risque. Avant de nuancer: «Dans la majorité des cas, il va plutôt fuir qu’attaquer. Comme tous les animaux qui ont un mécanisme de défense, il ne l’utilise qu’en dernier recours. Il faut juste éviter d’approcher l’oiseau lorsqu’il est accompagné de ses poussins, car c’est là qu’il peut devenir le plus agressif.» La preuve: une seule attaque mortelle a été répertorié­e à ce jour. Elle eut lieu en Australie en 1926, lorsqu’un enfant de 16 ans eut la jugulaire tranchée sous les assauts de l’oiseau enragé.

Déluge de griffes et de coups de bec

Si cet australien se montre quelque peu acariâtre, c’est qu’il est territoria­l. Mettez deux congénères sur le même carré et c’est la baston assurée. Pour se défier, ils donnent d’abord de la voix, poussant des cris rauques et graves, façon chanteur de Rammstein. Le reste n’est que déluge de griffes, de coups de bec et de plumes déchiqueté­es.

Cela va sans dire, mais ça va mieux en le disant: mieux vaut ne pas nourrir le casoar (ni aucun des animaux badass de cette série, d’ailleurs), il vous en cuirait. Son comporteme­nt d’ordinaire discret se verrait rapidement modifié. Il pourrait chercher de la nourriture près de chez vous… voire à l’intérieur des maisons! Et gare à vous si vous avez l’outrecuida­nce de ne pas satisfaire son appétit… Le Brisbane

Times rapporte ainsi que dans la région de Coquette Point, dans le Queensland australien, un retraité a dû prévenir les autorités après s’être senti «menacé» par un casoar qui voulait pénétrer dans son domicile. L’homme a été épargné, l’oiseau, lui, a été «déplacé» vers une zone non urbanisée afin qu’il y retrouve la vie sauvage. Un oiseau géant qui s’introduit chez de braves citoyens afin de les menacer de son regard et de ses griffes démesurées… Glaçant.

C’est en Australie que le plus grand nombre de casoars a été observé au contact des humains. L’oiseau sort dans les lotissemen­ts en lisière de forêt, poussé par la réduction de son habitat et la recherche de nourriture – des fruits forestiers principale­ment, à l’état sauvage. S’il est nourri comme un animal domestique, il peut alors s’habituer à la présence humaine… et semer panique, terreur et désolation (tout cela à la fois). En réalité, cette situation est révélatric­e du talon d’Achille de notre drôle d’oiseau: lui qui a besoin d’un territoire assez grand peut aujourd’hui avoir du mal à trouver une forêt où faire sa vie.

Bien que l’espèce ne soit pour l’instant pas considérée comme «menacée» selon les critères de l’Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature, «les population­s sont en déclin depuis les années 1970», souligne Alice Cibois. C’est d’ailleurs la marque de fabrique des véritables animaux badass: sous leurs attributs terrifiant­s se cachent bien souvent une fragilité et une douceur insoupçonn­ées. Dans le même registre, ce sont les femelles qui dominent les groupes. Légèrement plus grandes que les mâles, elles choisissen­t leurs partenaire­s… au pluriel, car elles peuvent, si cela leur chante, s’accoupler avec plus d’un mâle par saison de reproducti­on. Ce sont alors aux papas que reviennent les lourdes tâches de couver puis d’éduquer les poussins. Papa poule, le casoar n’en reste pas moins un hooligan. A temps partiel.

Demain: l’araignée géante de l’Antarctiqu­e

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(JOEL SARTORE)

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