AMLO, le fol espoir d’une alternance
Crédité de 53% des suffrages, Andrés Manuel Lopez Obrador bat les deux grands partis qui s’étaient jusqu’ici partagé le pouvoir. Histoire d’un président qui préparait sa victoire de longue date
La victoire écrasante d'Andrés Manuel Lopez Obrador à l'élection présidentielle – avec 53% des suffrages selon les estimations officielles – et de son parti, Morena, aux élections législatives, régionales et municipales, ne constituent une surprise pour personne, pas même pour les deux formations politiques qui ont monopolisé jusqu'ici le pouvoir et les reçoivent comme un camouflet, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) et le Parti d'action nationale (PAN). Trois mois durant, le vétéran de la gauche mexicaine s'est non seulement maintenu en tête des sondages, il a aussi connu une ascension constante, en gagnant les suffrages de beaucoup d'indécis et de certains de ses anciens détracteurs quand ses adversaires stagnaient irrémédiablement loin derrière.
Beaucoup diront que Lopez Obrador a su profiter de la tombée en disgrâce des partis qui ont toujours gouverné, que sa victoire est le fruit d'un désenchantement des Mexicains envers ce système d'alternance qui n'a résolu aucun des grands problèmes du pays, ni la corruption, ni la violence et encore moins la pauvreté, et que le ras-le-bol, plus encore qu'un homme, a gagné ce dimanche. En réalité, l'arrivée d'AMLO au plus haut échelon du pouvoir n'est pas le fruit d'une irruption soudaine dans le paysage électoral. Le discours anti-corruption de cet homme de 64 ans est le bruit de fond constant de la vie politique mexicaine depuis douze ans.
A mesure que les scandaleuses affaires des gouverneurs du PRI détournant l'argent public s'accumulaient en couvertures des journaux, que la violence s'étendait à travers le pays au point de faire de 2017 l'année la plus meurtrière de son histoire récente – avec plus de 28000 meurtres – et que le gouvernement du président Enrique Peña Nieto donnait tous les signes d'une incompétente paralysie, ce bruit de fond s'est mué en un appel indispensable et assourdissant.
Pas dans le moule
Plus que vaincre, Lopez Obrador s'est imposé. Le politicien du Tabasco, issu des files du PRI qu'il a quitté pour participer à la refondation de la gauche dans les années 1980, est devenu, aux yeux de beaucoup de Mexicains, l'incarnation palpable de son message: l'incorruptible, l'austère, le justicier social, le politicien qui ne rentre pas dans le moule. De lui-même, il dit qu'il n'est pas là pour s'en mettre plein les poches mais pour défendre l'intérêt du pays.
Lopez Obrador a préparé sa victoire de dimanche quand il est entré en campagne pour la présidentielle de 2006, dont il a contesté la victoire, frauduleuse selon lui, attribuée à Felipe Calderon, avec une marge minimale de 0,56% de différence. Après cet épisode qui l'a poussé à occuper avec ses supporters durant sept semaines l'avenue Reforma de Mexico et à s'autoproclamer «président légitime», il a tracé lentement son chemin. Littéralement, géographiquement, à travers le Mexique, qu'il a parcouru de long en large. Il a été moqué comme un radoteur aigri, un rancunier qui avait mal digéré son échec de 2006. En 2012, il n'était pas en mesure d'arrêter le rouleau compresseur médiatique Peña Nieto qui signait le retour du PRI au pouvoir, après douze ans de gouvernements du PAN.
Barbarie et corruption
En 2014, une abjecte affaire de barbarie et de corruption a secoué le pays et marqué un point de non-retour dans la vision qu'ont les Mexicains de leur classe politique: la disparition de 43 étudiants dans l'Etat du Guerrero aux mains de la police municipale et des autorités locales de la ville d'Iguala, complices d'un cartel local. Le président et le gouvernement fédéral ont détourné le regard, dans un geste d'insensibilité que les Mexicains continuent de leur reprocher. Les étudiants n'ont toujours pas été retrouvés et l'enquête a été entachée de multiples irrégularités. L'idée de se chercher un président qui soit à la hauteur des enjeux du pays s'est faite de plus en plus insistante.
Puis, alors que l'ombre grandissante d'un certain Donald Trump s'abattait sur le pays, avec ses menaces de murs, d'expulsions de migrants et de sanctions commerciales, rapetissant encore davantage la stature de Peña Nieto, le projet nationaliste de gauche de Lopez Obrador a gagné de nouveaux partisans. «Les Mexicains sont prêts pour un vrai changement», déclarait à la presse celui
Il a été moqué comme un radoteur aigri, un rancunier qui avait mal digéré son échec de 2006
Il a su convaincre qu’il avait, plus que n’importe quelle ambition, celle d’être
«un bon président»
qui n'était encore que le candidat de la gauche, quelques instants après avoir voté dimanche matin. Fidèle à sa réputation de lève-tôt, le favori est arrivé au bureau de vote qui lui correspondait, dans le sud de Mexico, une demi-heure trop tôt, bavardant avec les journalistes devant les grilles fermées.
Les chantiers qui l'attendent à la présidence, qu'il assumera à partir du 1er décembre, sont incommensurables: insécurité, mainmise du crime organisé sur des régions et des pans entiers de l'économie, inégalités, corruption endémique, éducation déficiente, rejet des institutions et défiance à l'égard de la classe politique…
Certains aspects du programme de Lopez Obrador restent un mystère aux yeux des Mexicains. Mais, mieux que quiconque, l'homme leur a transmis l'assurance qu'il se sentait concerné par les problèmes du pays et qu'il avait, plus que n'importe quelle ambition, celle d'être «un bon président».
Le président élu hérite toutefois d’une relation difficile avec son homologue américain. Les discussions sur la réforme de l’accord de libre-échange nord-américain (Alena) se sont enlisées tandis que le président américain insiste pour que ce soit le Mexique qui paie le mur qu’il veut construire le long de la frontière entre les deux pays dans le but d’empêcher l’immigration illégale.
Les félicitations de Trump
C’est pourquoi Lopez Obrador a eu un mot à l’intention de Donald Trump, expliquant vouloir une relation d’«amitié et de coopération» avec les Etats-Unis. Signe de bon augure, Donald Trump l’avait au préalable félicité, se disant «prêt à travailler» avec lui. «Il y a beaucoup à faire pour le bien à la fois des Etats-Unis et du Mexique!» a tweeté le président Trump, dont la politique commerciale et migratoire a plongé les relations avec son voisin mexicain au plus bas de leur histoire.
Des liens d’amitié ont également été rappelés par le premier ministre canadien Justin Trudeau. «Nous sommes unis par des objectifs communs […] Nous entretenons une relation commerciale mutuellement profitable qui fait l’envie du reste du monde. Nos efforts communs visant à mettre à jour l’Accord de libreéchange nord-américain pour le 21e siècle en sont la preuve», a tweeté Justin Trudeau.