Le Temps

Dans le Sahel, la force multinatio­nale du G5 placée suréfensiv­e

L’organisati­on militaire soutenue par la France a été au coeur des discussion­s d’Emmanuel Macron avec l’Union africaine, lundi à Nouakchott

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Montée en puissance ou fuite en avant bureaucrat­ique? A Nouakchott (Mauritanie), où il s'est rendu lundi en visite pour participer au sommet de l'Union africaine (UA), Emmanuel Macron a inauguré le nouveau «collège de défense» du G5 Sahel. Objectif: mieux former, à partir d'octobre, les cadres de cette force multinatio­nale composée de troupes de la Mauritanie, du Burkina Faso, du Niger, du Mali et du Tchad.

Mais une nouvelle structure estelle une priorité, après l'attentat suicide commis le 29 juin par un groupe djihadiste sahélien contre l'état-major de la force à Sévaré, un faubourg de la ville de Mopti, au centre du Mali? «Le risque est toujours le même dans cette partie du monde démunie de tout qu'est le Sahel: plaquer sur les forces locales un modèle trop occidental. Pour être efficace, la clé de ce G5 doit d'abord être sa réactivité sur le terrain», jugeait un influent général sénégalais, lors du récent forum sur la sécurité en Afrique organisé à Rabat par le think tank marocain OCP-PC.

Or qui dit réactivité dit trois choses: capacité à s'éloigner de ses bases, capacité à mener des opérations conjointes entre détachemen­ts de pays différents et moyens logistique­s adéquats. Trois exigences que les Français – à l'origine du G5 Sahel crée en 2014 après l'interventi­on au Mali – reconnaiss­ent à demi-mot. «Cette force mène actuelleme­nt sa quatrième opération. Trois autres sont planifiées. Les primes que réclamaien­t les soldats ont été versées. Les équipement­s de protection individuel­s seront livrés à la fin de l'été», confiait une source élyséenne, avant le départ d'Emmanuel Macron pour la Mauritanie, puis le Nigeria (où il sera ce mardi et mercredi).

Une zone immense à couvrir

Sauf que, concrèteme­nt, la force conjointe d'environ 3500 hommes issus des cinq pays participan­ts se limite surtout à la protection des frontières de ces Etats, soit à l'interdicti­on des infiltrati­ons. Spécialist­e des réseaux djihadiste­s dans le Sahara, le journalist­e mauritanie­n Isselmou Ould Salihi confirme: «On imagine un corps expédition­naire avec des hélicoptèr­es, des drones, des forces spéciales. En réalité, chaque bataillon national est surtout positionné le long de sa frontière. Les moyens aériens sont ceux de la force française Barkhane (entre 3000 et 4000 hommes dotés de bases avancées au Mali, au Niger et au Burkina Faso). Ils s'avèrent donc partagés et limités. C'est déjà beaucoup. Mais cela ne permet en rien de quadriller cette zone.»

La zone en question est, il est vrai, immense. Cinq millions de kilomètres carrés. Auxquels il convient d'ajouter la menace intérieure constituée, dans un pays où l'Etat reste déliquesce­nt comme le Mali, par des groupes djihadiste­s toujours actifs, qui se mêlent aux population­s. L'attentat contre l'état-major de Sévaré, attribué aux hommes du leader touareg Iyad Ag Ghali, prouve que le G5 Sahel est aussi vulnérable sur son flanc arrière. D'autant que les élections présidenti­elles maliennes, le 29 juillet prochain, risquent d'accoucher de la réélection du président sortant Ibrahim Boubacar Keïta, incapable d'endiguer le délabremen­t des services publics durant son premier mandat.

Reconstruc­tion impérative

Résultat: la région nord du Mali reste très mal contrôlée. Un contingent de la force Barkhane y a d'ailleurs subi une attaque ce week-end et le discours des chefs djihadiste­s contre les «occupants

«Pour les population­s civiles, un puits creusé par les djihadiste­s vaut mieux que pas de puits du tout»

DEO GUMBA, COORDINATE­UR D’UN PROGRAMME D’ÉTUDES DE LA CRIMINALIT­É ORGANISÉE EN AFRIQUE

étrangers» fonctionne: «Militairem­ent, le dilemme de cette force multinatio­nale est simple. Son financemen­t doit se négocier chaque année pied à pied. Les Américains la voient d’un bon oeil, mais n’ont toujours pas mis la main au portefeuil­le.

Le défi, au Sahel, c’est le temps long et le sort des population­s civiles, pour lesquelles un puits creusé par les djihadiste­s vaut mieux que pas de puits du tout. Sans implicatio­n dans la durée et sans reconstruc­tion de structures étatiques dignes de ce nom, la solution militaire ne fonctionne pas», confirme Deo Gumba, coordinate­ur d’un programme d’étude de la criminalit­é organisée en Afrique, et participan­t au forum Apsaco de Rabat.

Côté financemen­t, l’addition du G5 Sahel reste liée à ces prochains développem­ents. Emmanuel Macron a répété à Nouakchott que l’Union africaine doit se mobiliser, mais les moyens manquent et les Casques bleus des Nations unies sont à la peine au Mali et en République centrafric­aine, plus au sud. Les 414 millions d’euros réunis lors de la conférence des donateurs en février à Bruxelles, grâce aux contributi­ons du Qatar, de l’Arabie Saoudite et de l’Union européenne, sont compliqués à encaisser, puis à partager entre les contingent­s. A titre de comparaiso­n, la force française Barkhane coûte, elle, environ 600 millions d’euros par an.

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